| Quatrième séance (séminaire "les psychoses aujourd'hui" samedi 12 Février 1994, service du Pr. Tatossian)
François Morel: Des enfants sérieux: Le sérieux, dans sa référence mathématique, est une dimension fondamentale du phénomène psychotique. Si l'autisme est hors discours, il n'est pas hors langage.Pour introduire brièvement le débat après l'exposé de Bruno Gepner, quelques repères de la clinique analytique de l'autisme tirés de l'enseignement de Lacan seront esquissés. L'autisme dans la clinique infantile comme le mélancolique dans la clinique psychiatrique de l'adulte s'expose particulièrement à l'investigation scientifique. Au centre de leur symptôme, le défaut de leur parole, défaut encore plus radical inaugural et définitif chez l'autiste que chez le mélancolique, suggère quelque chose qui ressemble au réel silencieux et non trompeur, réel silencieux dont la saisie enfin reconnue à la charnière du XVIIIième et du XIXième siècle a fait le succès que l'on connaît de la méthode anatomo-clinique. Pourtant de découverte fracassante annoncée en découverte désavouée on a peu avancé dans ce domaine de l'organicité de l'autisme. Il faut tout de même remarquer que cet appétit de recherche axé à tort ou à raison sur l'organique maintient une pression épistémologique sur la clinique de l'autisme. Pression de l'hypothèse organiciste dont il faudrait prendre continûment garde à ce qu'elle ne constitue pas un noyau informulé de toute pratique clinique de l'autisme. Ne peut-on pas craindre à trop supposer l'organicité de l'autisme ou en croyant à sa future découverte que la position du sujet autiste déjà plus que précaire dans son affirmation ne subisse un rejet encore plus radical que celui dans lequel il se maintient. Aussi la psychanalyse insiste sur la nécessité d'une pratique clinique qui se dégage au mieux des hypothèses organicistes. L'autisme représente un défi pour la psychanalyse. Le moyen essentiel classique du fonctionnement psychanalytique fait défaut. La psychanalyse est fondée sur une pratique de parole, parole dont l'articulation signifiante S1-S2 fait le sujet et qui se trouve faire dans les cas extrêmes totalement défaut. Et pourtant- c'est une déduction assez globale de la lecture de Lacan, mais aussi quelque chose dont le détail a été avancé au cours des séances précédentes en proposant un mathème du discours analytique dérivé du discours du maître- il me semble que c'est justement dans l'autisme que se trouve radicalisé l'effet le plus crucial du langage, un effet qui se trouve être le pivot de l'expérience analytique au centre de la dynamique de la cure du névrosé. Il se lit dans la clinique de l'autisme et de façon massive une orientation de l'effet de langage qui échappe à la prise imaginaire des effets du symbolique, il y a une prise au sérieux de l'effet de langage au dépens des effets de sens, de compréhension qui procèdent de l'articulation signifiante. L'autisme total est très rare. Il représente un pôle de la clinique qui s'articule avec l'ensemble des psychoses infantiles. Il caractérise une position dans la psychose ou se fait l'économie de l'élaboration d'une nouvelle signification de suppléance à la signification phallique qui ne se présente pas, signification de suppléance que Lacan appelle dans ses Écrits métaphore délirante. Ainsi si l'autiste est hors discours il n'est pas hors langage. Lacan, , fait peu de références à l'autisme pour ce que j'en connais: En 1959, p. 709 des Écrits, dans son texte sur la théorie du symbolisme à la mémoire d'Ernest Jones , après avoir noté que c'est par le jeu de la substitution signifiante que l'enfant arrache les choses à leur ingénuité en les soumettant à ses métaphores....il remarque que: Bien sûr l'individu humain n'est pas sans présenter quelque complaisance à ce morcellement de ses images,&emdash; et la bipolarité de l'autisme corporel que favorise le privilège de l'image spéculaire 1, donnée biologique, se prêtera singulièrement à ce que cette implication de son désir dans le signifiant prenne la forme narcissique. Cet extrait peut laisser penser qu'à ce moment de son enseignement il conçoit l'autisme comme une capture par un pôle pur de l'imaginaire, pôle pur non subverti par l'effet du signifiant (l'enfant trouve avec les tropes) et l'autisme c'est ce qui de l'imaginaire échappe à la prise du symbolique. Ce pôle autistique de l'imaginaire, qu'il qualifie de donnée biologique joue le rôle d'un attracteur, noyau primordial du narcissisme auquel restera ancré le sujet du signifiant. La deuxième référence que je prendrai se situe en 1975 lors de ses conférences américaines publiées dans scilicet 5/6, p.46. Lacan y définit l'analyse comme "Une partie entre quelqu'un qui parle, mais qu'on a averti que sa parlote avait de l'importance. Vous savez il y a des gens à qui on a affaire dans l'analyse, avec qui il est dur d'obtenir ça. Il y en a pour qui dire quelques mots ce n'est pas si facile. On appelle ça autisme. C'est vite dit. Ce n'est pas du tout forcément ça. C'est simplement des gens pour qui le poids des mots est très sérieux et qui ne sont pas facilement disposés à en prendre à leur aise avec ces mots. " L'on voir s'esquisser là une autre approche de l'autisme, dont Lacan reconnaît s'inspirer également puisque lui aussi vient à se dire psychotique dans la mesure où il est sérieux, du moins qu'il tente d'être aussi sérieux que ses patients psychotiques (il cite dans ses conférences américaines le cas Aimée). Dans l'autisme l'on voit clairement se manifester une maximisation de l'effet sérieux du langage, de l'effet du langage qui serre le mieux ce qu'il en est du réel parce que l'effet de parole en est éliminé, soit la lettre. L'autiste peut traiter le langage mais avec sérieux. Aussi faut il y aller doucement avec lui. La dimension logique du comportement autistique a été remarquée depuis longtemps - c'est même un élément de diagnostic différentiel avec les arriérations mentales, d'autant que cette dimension logique contraste avec l'absence de compréhension, de communication empathique de sujet à sujet, logique servant justement le rejet du sujet. Par exemple tel enfant ne conçoit la séance que par le concept chiffré de sa durée et manifeste le plus grand malaise lorsqu'elle est avancée ou reculée ou ne dure pas exactement le temps supposé imparti. Il lui est prescrit par sa mère de parler, aussi remplit-il continument tout l'espace sonore de la séance. Son langage est rempli de formules grammaticales complexes et absolument justes contrastant avec le vide de significations, on oublie tout ce qu'il a pu dire. Il n'y a rien d'assimilable non plus une tendance, un retour aux choses de l'ordre animal, une soumission au réel de la nature. Le premier geste à l'entrée dans la salle de consultation est le contrôle de la lumière du jour, il ferme tous les rideaux. Il dit que la lumière électrique est plus fiable, que le jour est parfois sombre et change tout le temps. Bref, le niveau de ses performances logiques offre un contraste saisissant avec l'effacement concomittant des phénomènes "communicatifs". On voit que la "mêmeté" (sameness de Kanner) qu'il institue bute dans sa pratique du sérieux sur le principe d'incertitude du sujet : il se heurte au caractère manqué de la rencontre, ce qui peut renvoyer à tout ce qu'il y a d'inéliminable du sujet dans la démarche scientifique. L'insertion de son corps vivant dans le système est manifestement problématique comme en témoigne ses dessins précis mais inanimés, l'évitement du regard signe du sujet. Les seuls moments repérables où il a manifesté une volonté de communication à autrui se sont fait par le truchement de l'identification à des animaux morts. Au plan de la cure analytique, le lien à l'Autre ne se fait ni facilement ni spontanément dans l'autisme: Lacan, à la suite de Mélanie Klein dit que ce ne sont pas des cas devant lesquels la psychanalyse doit reculer. Mélanie Klein, dans son article de 1930 sur la formation du symbole chez l'enfant (où est présenté le cas Dick que Lacan commente dans son premier séminaire à la séance du 17 Février 54) va au devant d'un enfant dont la description clinique bien qu'antérieure à la formalisation de Kanner est clairement celle d'un autisme. Lacan commentant ce cas dit que cet enfant est maître du langage (symbolique-réel : la structure de langage est là prête à traiter le réel) mais qu'il ne parle pas : le langage ne s'est pas accolé à son système imaginaire (il n'y a pas de lien entre le symbolique et l'imaginaire). Mélanie Klein propose une théorie sexuelle à Dick. Papa grand train, Dick petit train, Maman gare. L'opération analytique en question n'est pas une interprétation (ce qui supposerait un matériel symbolique préexistant) mais une greffe symbolique compatible avec le jeu rudimentaire auquel se livre Dick, jeu rudimentaire ou se manifestent tout de même des concepts logiques élaborés tels que l'inclusion. S'il s'agit d'une introjection, d'une greffe de symbolique il n'y a pas pour autant instauration d'une métaphore paternelle. Elle n'offre pas un signifiant offert à la question, il n'y a pas de renvoi équivoque. Ce sont des signifiants plaqués imposés, elle nomme la formalisation de sa jouissance. Elle opère un lien entre l'imaginaire du corps et cette structure formelle désincarnée du jeu. Lacan dit qu'elle lui fout le symbolique avec la dernière brutalité. Ce symbolique foutu peut ensuite servir à Dick, , de base pour une construction du sujet, mais d'une base qui ne lui permettra probablement pas de s'affronter aux questions sexuelles. 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