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LA TOUR DE BABEL
UNE LECTURE PSYCHANALYTIQUE DU MYTHE
 
 
 

Jean-Louis MORIZOT
 

 
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Dans le livre de la Genèse, l'histoire des origines du monde et de la création précède l'histoire des Patriarches.

Création du monde, création de l'homme et création de la femme, la chute du Jardin d'Eden, les enfants d'Adam et d'Eve, Caïn et Abel, la descendance de Caïn, le déluge, Noé et ses fils et enfin, le chapitre 11, La Tour de Babel, qui vient interrompre la longue filiation des fils et des filles de Noé, avant qu'elle ne se poursuive avec l'histoire des patriarches, Abraham et sa descendance.

Intermède donc dans cette genèse, une histoire des noms et de ceux qui les portent, intermède où le temps s'arrête pour faire apparaître Nemrod le roi chasseur, sa ville, Babel au pays de Shinéar (Babylone en Mésopotamie, l'actuel Irak) et son rêve fou de se faire un nom, marquer son temps par une construction, un monument d'architecture, rêve éternel des puissants, qui fasse vivre leur renom dans la mémoire des hommes après leur mort.

Nemrod, le révolté, révolté contre le créateur, construisit tragiquement l'incommensurable tour, la lugubre tour des choses, l'édifice du bien, du mal et des pleurs, oeuvre d'une vie de tyran. Epopée humaine, âpre, immense, projet titanesque auquel il lia son nom faute d'y avoir fait don de sa personne (on ne dit pas la " Tour de Nemrod ").

Plus haute que les ziggurats des astrologues, Hérodote qui visita Babylone vers 460 avant Jésus Christ rapporte dans ses Histoires la description d'une tour monumentale de sept étages... Pourquoi sept ? Sept est un chiffre complexe, qui rappelle les sept mobiles célestes, le soleil, la lune et les cinq planètes connues, sept commandait par allégorie, la semaine et le déroulement du temps...

Quoi qu'il en soit, le dieu de la création ne permit au projet ni d'être achevé ni de perdurer. Comme il avait tiré la conséquence de la faute d'Adam et d'Eve, pour avoir goûté du fruit de l'arbre de la connaissance, du bien et du mal, connaissance réservée à Dieu lui-même, comme il avait anéanti dans le déluge les héros fornicateurs, premiers descendants d'Adam et Eve, il anéantira et la tour et ses constructeurs, qui furent dispersés quand ils avaient voulu ne faire qu'un avec leur projet.

En fait ce texte doit être relu comme un système symbolique, comme nous y invitent tant les kabbalistes lecteurs de la Torah que l'exégèse chrétienne :
- sous la lettre et les événements rapportés au sens littéral, il s'agit de retrouver les trois autres sens de l'écriture, allégorique, herméneutique et mystique, encore.
La construction et la destruction de la tour ouvrent la question de l'origine des langues des hommes, de la langue originelle dont sont issues les langues des hommes.

Babel porte du ciel pour des hommes qui voulaient se faire comme dieu, devient Babel, la confusion, confusion des langues telle que les hommes se dispersèrent car ils ne s'entendaient plus.

Le premier dans le monde médiéval chrétien, Dante Alighieri s'est penché sur la question de la langue originelle, celle qu'Adam avait parlé à Dieu et qu'avaient parlé ses descendants avant la Confusio linguarum qui suivit la construction sacrilège de la tour.

Le " De Vulgari Eloquentia ", écrit en 1305, oppose cette langue parfaite, langue mère, l'hébreu, aux langues vulgaires dont elle est la matrice. Dieu ayant donné à Adam, ce que Dante appelle la " forma locutionis ", qu'il faut traduire, certes faculté de langage mais plus précisément la structure de toute langue, avec laquelle Adam va forger une langue, celle de la nominatio rerum, celle que parla Eve à Adam (Eve qui fut la première à parler lorsqu'elle a dialogué avec le serpent).

Dieu lui, parlait à Adam à travers les phénomènes naturels (le feu, la grêle, la neige, le souffle des orages) et Adam a parlé à Dieu sous forme de réponse. C'est pourquoi, Dieu a dû lui parler d'abord, mais il n'est pas nécessaire que le Seigneur ait employé une langue de mots portée par une voix.

Qu'est-il arrivé avec Babel pour Dante? Il est probable qu'il pensait qu'avait disparue la " forma locutionis " parfaite, celle qui permît la création de langues capables de refléter l'essence même des choses dans l'identité entre leur être, modi essendi et leur représentation signifiante, modi significandi et dont l'hébreu adamique était le résultat parfait et impossible à atteindre.

Seules sont restées des forma locutionis imparfaites de même que sont imparfaites les langues vulgaires des peuples.

C'est cette langue édénique parfaite que Dante a poursuivie avec l'espoir de la restaurer, par un acte d'invention : la langue vulgaire illustre, dont la langue poétique est le meilleur exemple pour une guérison de la blessure post babélique.

Une langue dans laquelle le mot serait identique à la chose, d'un discours qui ne serait pas du semblant dira Lacan, voilà ce dont nous sommes exilés, et à quoi nous rêvons : à ce qui n'est pas !

L'Après Babel n'est pas un épisode provincial, c'est un Drame ! Déjà Platon dans le Cratyle s'était posé la question sans parler d'une langue parfaite, du rapport des mots et des choses rapport établi soit suivant leur nature (c'est la thèse de Cratyle, les noms nomment les choses selon leur nature) soit en fonction d'une convention humaine (c'est la thèse d'Hermogène qui y voit un rapport contingent). Pour Socrate, la connaissance ne dépendait pas de notre rapport aux noms mais de notre rapport avec les idées des choses issues de la perception des noms.

Pour Dante, que l'homme ait la faculté du langage, que les petits de l'homme apprennent le langage maternel dans la langue vulgaire, tient à ce qu'à lui seul il ait été donné de parler.

Parler signifie manifester les pensées de notre esprit au moyen de signes sensibles, signifiants renvoyés à des signifiés autrement ineffables, étant entendu que le rapport du signe signifiant à ce qu'il signifie (signifié) est établi par convention, c'est à dire ad libitum.

Seuls les anges ont la capacité intellectuelle de comprendre la pensée de l'autre ou de lire les pensées de tous dans le divin esprit du monde.

C'est cette blessure, post babelienne, que la langue parfaite de Dante veut réparer : langue parfaite à inventer par lui-même, de la multiplicité des langues imparfaites du vulgaire, pour mieux faire que l'hébreu ancien d'Adam, perdu après Babel, langue universelle, qui dirait enfin ce qu'elle dit, sans tromperie et donnerait la connaissance des choses. (La langue divine née du pacte entre Dieu et Adam, dont dérivent les langues vulgaires).

On ne peut échapper à l'idée d'une création du monde comme un phénomène linguistique (ce que développe en particulier la tradition de la Kabbale), à l'idée d'une unité entre peuple et langue, à l'idée que le rapport d'un homme à son langage est homologue à son rapport à son monde.

Dans les lointaines vallées de l'Euphrate, les hommes érigent une oeuvre architecturale immense, ils y travaillent en commun, c'est cette communauté qui constitue le but et le contenu de l'oeuvre : faire Un à plusieurs, créer entre les hommes un lien, le lien du trait unaire de l'identification dit Lacan. La destruction de cette oeuvre sépare les hommes et renvoie chacun et à son incomplétude et à l'insuffisance de sa pensée à faire lien avec quiconque. Projet inachevé que la tour, comme la langue des hommes à qui il manque le dernier mot pour dire le vrai sur le vrai !

Cela nous le savons, mais l'expérience de la parole des hommes montre que nous passons notre temps à l'ignorer -quand même- quand nous parlons, disons, affirmons en courtisant la Vérité et négligeant le reste à tout dit.

De quoi est-il question dans l'identification, quand dans la psychanalyse nous parlons d'identification, des identifications d'un Sujet?

Si l'identification n'est pas l'imitation -processus conscient, décision volitionnelle du sujet pour ce que l'identification met en jeu le transfert inconscient, il s'agit tout de même de répondre à cette question qui touche à la vérité vraie que cherchent les hommes depuis l'origine de la méditation philosophique, de la nature de l'être et, nous le savons depuis la linguistique -De Saussure- et Lacan, de la nature du Sujet, qui représente l'être dans la langue.

Quand Freud dit identification, première manifestation d'un attachement affectif à une autre personne, être ou devenir cette personne, voire, comme elle, avoir, détenir tel attribut, Lacan insiste sur l'identification signifiante, par opposition à l'identification à une image, à une forme, identification imaginaire en jeu dans le stade du miroir.

Identification, du verbe identifier, s'identifier à, action donc de s'identifier et résultat de cette action.

Action terminée, l'identification, est idem facere, faire le même, du même, trouver trace unique de ce qui est, du sujet, trace toujours identiquement identique à elle même, trace perdue dont s'anime le désir du sujet.

L'identification n'est pas unifier, faire un avec le nombre, mais ce mouvement où un sujet vient à se reconnaître dans un trait, trait unique, signe à jamais suffisant de la notation minimale, selon un mouvement comparable à l'écriture mathématique de l'équation d'identité A=A.

Point concret dit Lacan et non pas mythique, d'identification inaugurale du Sujet au signifiant radical du trait unique.

Deux perspectives s'en suivent : le sujet unifié, supposé au Savoir, au savoir inconscient, la différence pure que représente le signifiant, c'est à dire un sujet en proie au doute existentiel et la fonction d'idéalisation du sujet, signifiant radical qui vient en place de Commandement.

Que le sujet un soit un idéal est ce qui apparaît au sujet en proie au doute, au doute existentiel, quant à répondre à la question du " qui suis-je ?", avant qu'il ne vienne à se précipiter dans une réponse qui anticipe de ce qu'il a à trouver.

Transfert et Identification sont liés : l'attachement affectif à une autre personne dont parle Freud.

Faire de quelqu'un son idéal est dire à la fois, ce que le sujet n'est pas et ce vers quoi le porte l'amour de transfert quand il voit devant lui réalisé ce qu'il cherche, ce vers quoi il en appelle.

L'identification dit Freud vient en place, au lieu d'un choix d'objet. Il y a deux façons de faire apparaître un sujet, par le lien du choix d'objet libidinal et par l'identification qui est identification

-faire comme- un modèle.

Lacan le dit, l'Un est Autre !

Le paradoxe de l'automatisme de répétition dit encore " Wiederholung Zwang ", la nécessité de la répétition, soit qu'une même cause produit les mêmes effets, est là qui insiste, pour rappeler que ce qui se répète, identique à soi même n'est rien d'autre que le signifiant -pure différence ou trace du un- et non ce qu'il signifie... au grand dam du névrosé !

Pour reprendre mon exemple initial s'il y a une chose à retenir de l'épisode biblique, en tant qu'épopée mythique, de la Tour de Babel, c'est dirions-nous par jeu de mots signifiant, la Tour de Babel, le tour que la tour a joué aux hommes du pays de Shinéar, le tour que la tour leur a fait faire sur eux-mêmes en se donnant un nom, hors filiation, par une identification à un objet.

Dans le nom de l'identification signifiante, il y a un manque, ce que le sujet ne peut savoir, est le nom de ce qu'il est dans l'énonciation, en tant que sujet de l'énonciation.

Le nom est appel vers une unité, mais n'y parvient tout à fait que dans l'illusion... qui est un des noms de la réalité.

A TOULON, en mai 1997

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