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La Cause des Filets


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LE DEHORS ET LE DEDANS

Ronald Bonan *

Comprendre une oeuvre c'est accéder au foyer où prennent origine les manifestations particulières que sont tableaux et dessins. C'est ce dévoilement d'un centre que nous allons tenter ici et maintenant. Le risque majeur de cette tentative est d'atteindre l'indicible. Non que le projet artistique ne puisse pas se dire ou se formuler; ce que nous avons à dévoiler n'est pas le projet, mais la source vive de la création. La différence est grande: le projet est anticipation, volonté claire et distincte, propos délibéré. Inversement l'essence que nous visons est immanence, présence obscure, foyer inconscient, motivation entr'aperçue par le créateur De sorte que son dévoilement est en même temps le propos du contemplateur et celui de l'artiste. Nous voici donc à égal té.

L'artiste lui-même cherche à se comprendre à travers ses oeuvres comme le montre le recul qu'il prend par rapport à sa toile. Trois pas en arrière et il est comme nous, spectateur de son oeuvre, trois pas en avant et il redevient le peintre. Ajoutons tout de suite l'autre paramètre et nous aurons fini d'introduire le dévoilement de ce centre mystérieux, source de toute image peinte mais lui- même non figurable, est en même temps interrogation du rapport de l'homme qui peint et de l'univers (surtout au sens spatial et topologique du terme). Autrement dit, quand le tableau dévoile quelque chose de son origine, il dévoile en même temps quelque chose du peintre (cause formelle et efficiente) et du monde (cause finale et matérielle). Là se nouent l'objectif et le subjectif.
 

Maintenant dévoilons.

Selon une logique phénoménologique on peut aborder l'essence à travers a série de ses manifestations. Or il y a des séries génétiques (les productions du peintre tout. au long de son parcours) et des séries structurelles (les productions liées toutes à une même étape de ce parcours). Génétiquement parlant, le parcours a commencé par une représentation métaphorique d'architectures infinies, souvent sur IG base de souvenirs oniriques. En rêve, la représentation de l'infini n'est pas un problème étant donné l'alogisme du songe: mais comment le transposer sur la toile ? En suggérant la répétition du même (en confiant à l'imaginaire la réitération) ou en abordant l'infini de figures comme le cercle, ou de volumes comme la sphère. Tout ceci a été tenté et retenté. L'insatisfaction lice à chaque production vient de ce que la motivation déborde de toute part la simple volonté de figurer l'infini: il fallait représenter le statut mi-sensible mi-intelligible de cette réalité spatio-psychique; il fallait montrerl'appartenance de toute chose à ce tout (infini donc sans limite, même pas celle qui sépare le peintre de la toile, l'image de l'esprit qui la conçoit). Le regard ne survole pas l'image, la réduisant ainsi au simple statut d'objet représenté, mais il se glisse dans le tableau comme dans quelque chose qui est de la même substance que lui, qui lui donne son sens comme regard. Le problème est très vite celui du dedans et du dehors, du visible et de l'invisible. Il peut être traité en complexifiant la géométrie (de la sphère au tore) ou en réfléchissant sur la vision comme l'avait fait jadis Descartes dans la Dioptrique.

Cela a eu lieu et nous mène à une étape ultérieure, celle que fixent nos photographies. Dès lors, une mise entre parenthèses de l'attitude naturelle du peintre peut être tentée afin d'essayer de dégager l'essence de son rapport à soi et au monde. Qu'y a-t-il de commun aux tentatives passées et aux tentatives actuelles ? Y a-t-il une manière constante, pour ce fond secret de la création, de se manifester ? Il semble que oui. Le secret se trouve dans l'idée de structure. Voici une idée riche et complexe, aux sens multiples. Tous conviennent. pour accomplir notre dévoilement: comme synonyme d'armature d'abord, c'est-à-dire comme organisation complexe et importante envisagée dans ses éléments essentiels, la structure est ce qui maintient de manière invisible l'espace dans sa répartition, ce qui pourrait être décrit comme le squelette des volumes C'est lui qu'il s'agit de rendre visible si l'on veut dégager l'essence des formes spatiales, car il est leur raison suffisante, leur explication interne, le principe qui rend compte des choses comme elles sont. C'est pourquoi on peut glisser au sens de structure comme agencement et composition; dans ce sens, plus pictural, on entend la manière dont un ensemble concret spatial est envisagé dans ses parties, constituant donc une forme observable et analysable que présentent les éléments d'un objet. Ainsi on peut vouloir saisir la cellule dont la répétition analytique donne lieu au volume infini qu'est à sa manière le tore. C'est pourquoi nous pouvons enfin passer au troisième sens du mot structure celui qui le rend synonyme de forme et ordre, c'est-à-dire d'une manière d'envisager un ensemble en fonction des lois de composition définies sur lui.

Ainsi on rejoint le souci classique de la peinture (la forme (1)) sans quitter le registre de l'approche géométrique ou scientifique de ce tout qu'il faut représenter mais dont il n'y a pas d'image possible. N'est-ce pas en effet la structure de l'univers que tente de dégager la physique fondamentale ? N'est- ce pas la structure de l'organisme qui est visée par une certaine physiologie ? N'est-ce pas la structure de la perception qui est l'enjeu de la peinture (surtout depuis la Renaissance) ? Dans tous les cas, la forme (qu'elle soit modèle scientifique, idée globale de l'organisme ou architecture invisible du visible) est bien cet élément dépourvu de signification si l'on fait abstraction de celui pour qui il y a forme. C'est bien cet élément ambigu, mi-objet, mi-sujet, qui représente à la fois l'origine et l'achèvement de la quête picturale. Or quelle est cette réalité qui, tout en étant étendue et physique, possède les propriétés d'un esprit (réceptivité). N'est-ce pas le corps humain ? Le corps est l'interface de l'esprit et de l'univers. Ce par quoi il y a étendue subjective face à un monde objectif. Ceci signifie que l'ancienne idée de Léonard d'une correspondance entre le Microcosme et le Macrocosme rend toujours bien compte de l'insertion de l'esprit dans les choses.

La forme est donc ce que le corps qui matérialise notre esprit appréhende du monde dans cette relation qui est au-delà de l'intériorité et de l'extériorité. L'expression. de cette forme peut être musicale (et le peintre travaille en musique), poétique ou sculpturale, mais elle est essentiellement picturale parce que la traduction de l'étendue a besoin des dimensions de la toile, et surtout parce que la troisième dimension (profondeur) et la quatrième (invisible) demeurent des dimensions de l'espace mais, en qualité de dimensions non mesurables, exigent une sorte de traitement métaphorique (celui de l'illusion perspective ou de la transparence). Telle est la raison pour laquelle ce qui se peint ne se dit pas (2). "Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire", disait L. Wittgenstein à la fin de son Tractatus; on peut aussi tenter de le peindre. Mais il s'agit du même problème: comment exprimer ce à quoi nous appartenons de manière ambiguë, comment rendre compte de ce qui noue, englobe (l'espace réel, l'espace ;imaginaire, l'espace conçu) et que nous englobons ? Il y a réversibilité du contenu et du contenant: je pense le, formes et les formes ne se pensent qu'en moi,., mais elles ne sont pas de pures productions de mon imaginaire, de purs schèmes, elles sont des structures ancrées dans l'objectivité. De nouveau le problème du dedans et du dehors comme double du problème de I objectif et du subjectif.

A cette problématique toutefois l'histoire de la pensée (philosophique et artistique) a apporté des solutions. Explorons la pensée monadologique. Les monades sont des "êtres sans portes ni fenêtres" (Leibniz) qui expriment en tant que substances spirituelles (esprits) l'univers. Dieu est la monade des monades, celle qui porte toutes les expressions possibles de l'univers. Voilà des êtres sans dedans parce que sans dehors qui n'aspirent qu'à exprimer le tout et qui voient leurs déterminations subjectives (pensées et représentations) correspondre correspondre aux formes objectives (le monde) C'est cette architectonique qui semble convenir à notre visée de dévoilement. N'est-ce pas celle du Jardin des délices, où la sphère, dont la surface n'a pas d'extérieur, représente ce tout infigurable et où le point de vue de Dieu vient fermer absolument la Forme ?

Mais il faut actualiser (3) ces solutions, car la monadologie suppose un regard absolu que le peintre contemporain ne peut assumer, par principe; il s'agit donc ce donner une version ultérieure de ce rapport de soi au monde et au secret de la création, traduire le langage classique dans un langage nouveau, s'approprier encore une fois l'objectif, reprendre le mystérieux rapport entre le clair et l'obscur, le concevable et l'inconcevable, le visible et l'invisible Cette dernière opposition en particulier sert d'élément moteur. Il faut toutefois entendre le visible en un sens élargi. un peu comme l'avait fait Maurice Merleau-Ponty dans son oeuvre magistrale il s'agit bien sûr de ce qui tombe sous le sens optique. mais aussi de ce qui est visible par "apprésentation", c'est-à-dire comme côté caché par le perçu, et enfin de ce qui est visible par "indication", comme l'est l'âme de l'autre sur son visage. Cette visibilité re l'oublions jamais, se fait de l'intérieur de ce qui est perçu, c'est-à-dire sans recul possible. Cette appartenance s'exprime souvent par le format des toiles, dont le relief et la taille (4) doivent sans médiation disposer adéquatement le regard du contemplateur, en faire l'élément subjectif dort a besoin la forme pour exister.

On voit ainsi à quel point cette entreprise dépasse certaines polémiques classiques (celle du figuratif et de l'abstrait, celle de l'image et du concept) pour se déployer de manière originale à mi-distance d'un certain art conceptuel et d'un certain art brut.
 
 
 

*Agrégé de philosophie, poursuit des recherches sur la phénoménologie française écrit régulièrement sur l'oeuvre de Sylvie Pic

1.Le rapport du moteur de l'oeuvre et de la forme comme élément central explique aussi le privilège du dessin sur la couleur: le dessin (même s'il peut disparaître sous la couleur) est l'élément pictural qui réalise l'unité de sens de la structure comme armature. squelette, forme ou loi génétique.
2. Les dessins exposés (ici reproduits) comportent-ils toutefois des indications verbales ? Il faut les considérer comme des éléments d'indication qui participent pleinement de l'oeuvre en montrant souvent sa genèse ou son rapport à un élément conceptuel. Il y a ainsi dialectique entre l'écrit et le dessiné, l'un éclaire l'autre: du sens circule entre les deux.
3. Cette actualisation n'implique pas que on renonce à ce que la logique monadologique rend possible: faire du champ de la perception un champ de conscience.
4. Le relief justifie souvent le choix des couleurs. Le grand format exposé ici (et reproduit) en est un exemple

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