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Edition : François Morel

Comment devient-on un homme ou une femmme?
AMBIGUÏTES SEXUELLES, par Geneviève Morel

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L'homosexualité masculine : "Une éthique de célibataire"

S. Perazzi 1995

Parmi les nombreux exemples dans la littérature d'écrivains homosexuels, je n'ai pas choisi le plus connu, Proust ou Gide, ni un qui ait particulièrement parlé dans ses oeuvres de son homosexualité Genêt ou Matzneff, par exemple, mais justement quelqu'un qui a pris si grand soin de la cacher qu'elle n'a été vraiment connue du grand public qu'après sa mort : Henry de Montherlant.

QUELQUES TRAITS DE LA BIOGRAPHIE DE MONTHERLANT

HENRY MILLON DE Montherlant

est né le 20 avril 1895, (centenaire de sa naissance) bien que toute sa vie il ait affirmé être né le 21 avril 1896. Le rajeunissement d'un an n'était peut-être qu'une coquetterie, mais le choix du 21 avril lui permettait de dire qu'il était parvenu à naître le jour anniversaire de la fondation de Rome.

Montherlant marquait ainsi qu'il décidait de sa date de naissance comme il a décidé de celle de sa mort en se suicidant le 21 septembre 1972, le jour de l'équinoxe (Il a écrit en 38 un essai intitulé L'équinoxe de septembre.. Montherlant manifestait ainsi le souci de donner à sa vie la figure mythique d'un destin dont il était le maître.

Montherlant avait le sens de la maxime : ses Carnets en sont truffés. M. Mohrt y voit l'intérêt pour M. d'un es igual à l'espagnole, d'une suprême indifférence dont il voudrait qu'elle soit le signe de la richesse de sa vie. Il a essayé de se construire une image admirable, mais fait un magnifique acte manqué : il veut jeter à la Seine sa correspondance avec sa grand-mère pendant la guerre de 14-18, qui détruit son image de héros, mais sa vue étant diminuée par un accident vasculaire, ... se trompe de paquet de lettres!

Il prenait aussi un soin extrême à cacher la réalité de sa vie privée. Nombres de ses admirateurs particulièrement Michel Morht dans Montherlant "homme libre" paru en 1942 n'ont pas suspecté l'imposture. La préface écrite par Michel Mohrt à la réédition de son livre en 89 est à cet égard édifiante : désarmant de naïveté et d'espoir déçu en ce "plus grand peut-être de nos écrivains" (dixit Bernanos) à qui on a bien failli donner un poste ministériel pour s'occuper de la jeunesse! La réalité de sa vie, son principal biographe, Pierre Sipriot, l'a mise à jour. Il publie en 1983 la correspondance de Montherlant avec l'auteur des Amitiés particulières, Roger Peyrefitte et en 1990, Montherlant sans masque.

DE SES RELATIONS AVEC SES PARENTS ON PEUT RETENIR :

PERE inconséquent, mondain, avec lequel Montherlant ne communiquait pas ou très peu ; sa demande d'amour à son égard semble pourtant plus importante qu'il voudrait le laisser croire, si l'on en croit sa pièce, Fils de personne; histoire d'un enfant auquel son père, malgré quelques efforts, n'arrive pas à s'intéresser. Le père de Montherlant ne supportait pas "le genre esthète" qu'il se donnait et il ne lui a laissé que sa morgue.

MERE qui a failli mourir à sa naissance, toujours couchée, follement attachée à ce fils qui était tout pour elle et qu'elle voulait parfait; il est resté jusqu'à douze ans dans son lit où ils lisaient ensemble Quo vadis? Elle supportait même que son fils lui parle de ses aventures. Pourtant, Montherlant avait avec sa mère (comme d'ailleurs plus tard avec sa grand-mère) une attitude d'un rejet et d'une dureté extrême : "elle m'aimait plus que je ne pouvais l'aimer". Si sa mère est morte quand il avait 20 ans, le modèle de ses relations avec les femmes il l'a assurément pris là : lui Don Juan inaccessible, elle, femme amoureuse.

Montherlant était et se définissait lui-même comme célibataire dans l'acception courante du terme.

"Le grand bonheur de ma vie est de savoir que je ne suis pas marié" dit-il dans une lettre à une de ses amies femmes, Alice Poirier du 23 avril 35 citée par Sipriot p. 340; c'est aussi comme " le célibataire " que le désigne le grand-père de la seule femme avec laquelle, en 1934, il a eu le projet de se fiancer (Jeanine); même si leurs relations platoniques mais orageuses ont duré de 1934 à 1936, lui ne s'est considéré fiancé que 18 jours!

Il lui enverra son roman Les jeunes filles avec cette dédicace " Vous saurez à quoi vous avez échappé en ne m'épousant pas ". Cette oeuvre est le procès du couple, où le héros séduit d'autant plus les femmes qu'il ne les désire pas. Montherlant y livre là sa position par rapport aux femmes qu'il traite dans tous ses romans avec un mépris souverain, toutefois il n'y révèle pas ce qui a été son choix érotique.

La "révélation" de son amour pour les jeunes garçons, il l'a eu pendant l'année scolaire 1911-1912, au cours de laquelle il "fait" sa philosophie à Sainte-Croix. Il vit dans une ambiance intense d'"amitiés particulières" et connaît l'épreuve du renvoi du collège qui brise ce qu'il considérera jusqu'à sa mort comme son expérience amoureuse la plus authentique : "J'ai bu à un visage qui m'a désaltéré pour l'éternité."

Cette découverte de la tendresse et de la sensualité, liées à une mésaventure douloureuse va marquer sa vie. Le "garçonnet", Philippe, dont il est follement (et alors chastement) amoureux deviendra Serge Souplier dans "Le prince dont la ville est un enfant" (1951) et dans "Les garçons". (1969)

Sa correspondance avec Roger Peyrefitte, l'auteur de Amitiés particulières et, lui, pédophile notoire, a été publiée 11 ans après sa mort et commentée par son coauteur. Ils y relatent leur "chasse", leur "guerre", en pleine guerre de 40, travestissant seulement les garçons en filles, au risque d'être arrêtés, comme cela leur est d'ailleurs arrivé à tous deux. Ils ne dûrent qu'à leur positions sociales et à leurs relations de ne pas être publiquement dénoncés (ils risquaient alors de 6 mois à 3 ans de prison). Roger Peyrefitte, toutefois y perdra son poste de secrétaire d'ambassade au Quai d'Orsay.

La lettre de Montherlant datant de 1939 donne un bon exemple du ton de ces missives : P. 65 de la Correspondance

Henry de Montherlant à Roger Peyrefitte

Paris, 1939

Cher ami,

Heil ! Heil ! Heil !

L'alliance franco-belge (1), dont la France avait grand besoin, a été scellée au cinéma tout à l'heure, sous les auspices, bien entendu, de l'Angleterre (2).

On n'est pas exactement belge, mais ayant toujours vécu en Belgique. On est lycéenne, bien entendu. On est - tenez-vous bien - " dans les consulats (3) !! - Tout ce que peut donner le ciné a été obtenu, et nous avons une promesse de nouveau revenir.

Heil ! Heil ! Heil !

(I) Rencontre avec un petit Belge ou plutôt, comme on verra plus bas, Français "ayant toujours vécu en Belgique". (2) Son rabatteur occasionnel, le garçon de café, d'origine anglaise (3) C'est-à-dire, évidemment, par sa famille. Fils de quelque attaché de chancellerie rapatrié en Belgique. - R.P.

Celles-ci sont parfois plus explicites :

P. 72 J'ai eu une journée de volupté à Marseille en arrivant (vous ai-je dit que c'est le passage de - 5° à + 18° qui m'a estourbi?) Dans cette journée j'ai eu quinze échecs T.C.R.P. (5), mais, sur la fin du jour, mon regard croise sur le trottoir celui d'une petite très bien habillée. Je me retourne, elle se retourne. Je la suis. Elle s'arrête à un ciné. J'étais encore à tournicoter, qu'elle m'adresse la parole. Le film était: " L'invitation au bonheur ". Un instant après, j'en avais la main pleine. Elle était montée d'une traite au plus haut et plus noir d'un balcon désert du ciné: c'était, pour sûr, une pouliche de retour. Quinze tout juste. Lycéenne, qu'elle me dit. D'abord je n'en crois rien, la pureté classique de la prise m'ayant paru trop professionnelle. Ensuite quelques détails ... m'ont montré qu'elle avait au moins une teinte de ces établissements. Puis, son impossibilité de me donner un rendez-vous avant trois jours, alors qu'elle en mourait d'envie, m'a aussi laissé supposer que c'était peut-être vrai. La couronne me fut promise par deux fois, et, l'ayant mesurée, j'ai pu constater que cela n'avait rien d'impossible. Blonde aux yeux noirs, visage moyen, mais l'éclair le plus coquin des yeux et le rire joli. Bien entendu, je n'ai pu aller au rendez-vous, mais j'ai une adresse, bien que vague.

(5) C'est-à-dire échecs pour des abordages sur les plates-formes des trams de Marseille. Le T.C.R.P. (Transports en commun de la Région Parisienne) est ici pour " Transports en commun de la région marseillaise ".. Nous étions redevables de beaucoup de choses à la T.C.R.P., comme au métro - R.P.

HOMOSEXUALITE MASCULINE CHEZ FREUD

Il résume lui-même ses thèses sur le sujet qui se sont développées tout le long de son oeuvre dans son article de "Névrose, Psychose et Perversion" de 1922 : éSur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualitéé.

Ce que Freud qualifie dans ce texte de " processus typique " est la prégnance particulière dans l'enfance de la fixation à la mère qui devient après la puberté une identification (" conversion "), le jeune garçon recherche alors des objets d'amour qu'il pourra aimer comme sa mère l'a aimé. Ceci explique une condition d'amour fréquente : que ces garçons aient l'âge du sujet quand s'est produite chez lui la transformation, quand ils se sont eux-mêmes identifiés à leur mère.

Freud souligne que le choix d'objets masculin permet à l'enfant :

-de rester fidèle à leur premier objet, la mère,

-d'établir des relations narcissiques avec une personne du même sexe plus facilement accessibles que le choix d'un autre sexe

-et que derrière ça se cache "la haute estimation de l'organe mâle", ce que nous appelons le phallus, et l'incapacité à renoncer à sa présence chez l'objet d'amour.

Il faut que l'objet d'amour soit porteur d'un sexe masculin ce qui se lie au mépris ou à l'aversion des femmes parce qu'il a découvert qu'elles n'étaient pas justement porteuses de cet organe; et surtout la première d'entre elles, la mère.

Par ailleurs s'y associe une particulière déférence au père puisque le résultat de leur choix est de renoncer à toute concurrence avec le père.

Si l'on s'en tient là, Montherlant correspond donc bien à un homosexuel "typique" avec son trait distinctif qui est un mépris particulièrement prononcé pour les femmes : il n'est pas besoin d'être aussi misogyne quand on est homosexuel! et ça n'est d'ailleurs pas le cas le plus fréquent, beaucoup d'homosexuels sont entourés de femmes, et même s'ils ne les désirent pas, les aiment. Je laisse volontairement de côté la question de sa structure que ces extraits de la Correspondance éclaire pourtant. (Pas de refoulement, pas de formation réactionnelle ni de sublimation, négation de la castration de l'Autre maternel primitivement reconnue = démenti)

Mais l'on peut faire avec Lacan, à qui j'ai emprunté la citation de mon titre, un pas de plus, précédé comme toujours par Freud qui qualifie tout de même, dès la première séance, l'homme aux rats d'homosexuel!!! Ceci est bien surprenant car cet homme aux rats, lui, n'a jamais eu de relations avec d'autres hommes.

Pour introduire à cette deuxième partie, je continuerais dans mon exemple, mais en prenant maintenant le premier grand succès de Montherlant, son roman Les Célibataires

LE ROMAN

Publié en 1934, il est aussitôt récompensé par le Grand Prix du Roman de l'Académie française. Les personnages essentiels sont deux vieux nobles sans ressources, Léon de Coantré et son oncle Elie de Coëtquidan qui ont vécu jusque-là sans rien faire, mais qui, ruinés, doivent affronter une échéance inéluctable.

Le roman se déroule sur un peu moins d'un an (mi-février à début décembre 1924) et s'ouvre sur la révélation à Léon que six mois après la disparition de sa mère, ses revenus sont réduits à presque rien, et que les deux célibataires vont devoir se séparer, car il leur faut renoncer à la maison du Bd Arago qu'ils doivent impérativement quitter le 15 octobre prochain .

Peu de temps après, convoqué par le notaire, il apprend que ses ressources sont encore plus modestes qu'il ne le pensait et qu'il est complètement ruiné. Il rend plusieurs visites à l'oncle Octave - frère d'Elie - qui est l'homme riche de la famille; Léon lui expose les difficultés de sa situation.

Léon n'obtient pas de promesse ferme de la part de son oncle, mais ce dernier, pour sa fête, lui remet cinq cents francs. Léon prévient Elie, par un pneu, qu'il ne rentrera pas ce soir à la maison. Il dîne au restaurant, erre dans Paris à la recherche d'une aventure, mais, paralysé par sa timidité, il rentre au petit jour en taxi.

Quand Elie se déplace enfin, il obtient immédiatement satisfaction: son frère le prendra en charge. Mais il n'est pas question de Léon de Coantré, et, le 15 octobre, quand a lieu le déménagement Mme Emilie, soeur d'Octave, recueillie par lui, suggère à son frère d'héberger Léon dans la maison du gardien à Fréville, où il a une propriété. Léon accepte avec enthousiasme.

Mais il va vite déchanter, en proie à la solitude, l'isolement, l'inconfort, et le manque de ressources qui lui vaut le mépris des gargotiers qui devaient lui assurer la nourriture.

Il comprend qu'il est abandonné, mais, par sursaut de fierté, est décidé à ne plus rien demander. Près de mourir, il songe à appeler Mélanie, la bonne, pour vivre avec elle. " Madame Mélanie, restez! Je ne veux pas mourir seul! " s'écrit-il. (p. 237).

On trouvera quatre jours après sa mort, le cadavre de Léon. Personne n'assiste à son enterrement. M. Octave, cependant, fera entretenir sa tombe.

LES PERSONNAGES DE CE ROMAN

Ces célibataires ont horreur de se contraindre, ils vivent dépenaillés. S'habiller leur est un supplice; être à l'heure un martyre. Déjà dans sa jeunesse, après la déconfiture de son entreprise, Léon a vécu pendant deux ans sans rien faire que musarder, chasser, pêcher, bricoler. Rentier dont les rentes diminuent jusqu'à devenir nulles. Après cet épisode, il est revenu vivre sous l'aile maternelle, et, durant vingt ans, cette insouciance de petit garçon fut à son goût. A côté de cela, il est incapable de regarder les choses en face, de voir ce qui est, trait qui caractérise aussi son oncle: "M. de Coantré reconnut le génie de son oncle, qui était le génie de se refuser à regarder en face les situations ennuyeuses". Laisser passer les occasions - d'un mariage riche ou d'une - est un des traits de leur indifférence et en même temps de leur inadaptation.

Mais leur laisser-aller est lié aussi à la pauvreté de leur sexualité.

Elie de Coetquidan est vierge à soixante-quatre ans: rachitique, il n'a pas fait de service militaire; il est atteint, sous ses dehors bourrus et sans gêne, d'une timidité maladive.

Dans sa jeunesse, Coantré a connu des aventures sentimentales (de préférence avec des bonnes et des cousettes). Il a même connu quelque chose qui ressemblait à l'amour.(Mariette) Au profit de ce souvenir, il cesse toute vie amoureuse. Dès lors, le jour où l'envie lui prend de lier connaissance avec une femme, sa tentative échoue lamentablement. Cela fait vingt ans qu'il est exilé du monde des femmes. Il ne sait plus leur parler; il ne profite d'aucune des occasions qui se présentent; il reconnaît que, ce soir-là, il est au-dessous de lui-même et qu'il n'a plus " cette fameuse aisance des Coantré qui, dans sa jeunesse avait tant dépité les Coetquidan". Incapable d'aborder une femme, il les frôle en timide sans chercher à avoir une aventure, "d'abord parce que son linge n'est pas frais, ensuite parce qu'il n'en a pas envie". La soirée où il cherche à renouer avec les femmes s'achève au petit jour en désastre, devant un mélancolique café-crème.

Ils sont donc eux, plus que Montherlant lui-même, de véritables célibataires, se mettant à l'abri de toute jouissance sexuelle et incapables du moindre rapport avec l'Autre sexe.

Les seuls personnages de femmes de ce roman sont soit une image très maternelle (Mélanie, Emilie) soit ce personnage que l'on retrouve souvent chez Montherlant de la jeune femme émancipée dont la principale qualité est de vouloir échapper à son statut de femme et qu'il exécute sobrement p. 118 d'un : " la principale tare de Melle de Bauret... était que pour elle nouveauté est synonyme de valeur. C'est là signe certain de barbarie ". La femme est là clairement marquée de l'horror feminae, horreur du féminin, déjà soulignée par Freud et va nous introduire au développement qu'a fait Lacan et à son " éthique du célibataire ".

HOMOSEXUALITE MASCULINE CHEZ LACAN

Tout d'abord, Lacan distingue plus nettement encore que Freud la mère et la femme : la mère est représentée par son désir, celui qui apparaît dans la métaphore paternelle qui va par son discours, introduire entre l'enfant et elle un élément médiateur, le Nom-du-Père. La femme, Lacan dit et cela fit scandale, qu'elle n'existe pas. Les femmes, bien sûr existent, mais il n'y a pas La femme toute, celle qui ferait le pendant à la représentation de l'organe mâle, le phallus. Raison pour laquelle il l'affecte d'une barre : la femme en tant qu'objet d'amour, c'est la femme barrée, barrée parce qu'il n'y a pas de signifiant dans l'Ics pour la représenter. Il ne fait que reprendre en cela l'assertion de Freud de primat du Phallus, à savoir que dans l'Ics, il n'y a qu'un sexe, le sexe mâle. Chacun des sexes devra se positionner par rapport à la castration : tout phallique ou pas tout phallique, côté homme ou côté femme, et ce, indépendamment de son sexe biologique.

Ensuite il introduit ce qui a été pour moi une surprise, l'assimilation de l'homosexualité masculine à " une éthique de célibataire ". Soit un choix de vie basé sur le célibat. Mais qu'est-ce exactement qu'il qualifie de célibat? Ce n'est plus là la simple référence au passage ou non devant le maire. Je vais tenter de vous l'éclairer par le commentaire des 3 phrases de son texte de 1973, Télévision, p. 65 exactement

"L'idée kantienne de la maxime à mettre à l'épreuve de l'universalité de son application, n'est que la grimace dont s'esbigne le réel, d'être pris d'un seul côté.

Le pied-de-nez à répondre du non-rapport à l'Autre quand on se contente de le prendre au pied de la lettre.

Une éthique de célibataire pour tout dire, celle qu'un Montherlant plus près de nous a incarnée."

COMMENTAIRE DES DEUX PREMIERES PHRASES :

-Le plus célèbre des philosophes allemands du siècle des lumières, Emmanuel Kant (1724/1804) était lui-même un célibataire endurci. De famille très modeste, a consacré toute sa vie à la méditation et l'enseignement. Enseigna la philosophie à l'université, a été précepteur dans diverses familles nobles. Il n'a jamais connu de femme "lorsque je pouvais avoir besoin d'une femme, je ne pouvais en nourrir aucune; lorsque je pus en nourrir une, je n'en avais plus besoin" et n'a pratiquement jamais quitté sa ville natale de Könisberg.

L'idée kantienne de la maxime = dans Critique de la raison pratique : le respect du devoir est l'essentiel de toute moralité, c'est la loi morale, règle qui commande sans condition, impératif catégorique. Sa première formule est : "Agis selon une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle".

Cette maxime personnelle, c'est la façon de Kant de sacrifier au Un phallique, au nom de cette loi universelle, tous les objets que nous appellerions plus de jouir, ceux de la sensibilité y compris le partenaire sexuel.

Grimace = contorsion du visage, = feinte, dissimulation.

"S`esbigner" = s'enfuir subrepticement

Un seul côté fait référence aux formules de la sexuation :

Les " célibataires " se positionnent seulement du côté gauche de ces formules, excluant ce qui serait du " pas-tout ", il n'ont à faire en tant que sujet, qu'au phallus.

Dans Tous feux éteints, qui sont ses Carnets soit ses réflexions jetées sur le papier de 65, 66, 67, sans dates et 72 (donc correspondants à la fin de sa vie) p. 116, Gallimard, 1975, il donne sa définition de la pédérastie :

" La pédérastie a peu d'importance puisqu'elle est l'amour sensuel pour les enfants et adolescents (jusqu'à leur première barbe, selon les principes rigoureux tant des Anciens que des Orientaux modernes), c'est-à-dire l'amour de la féminité qu'il y a en eux, c'est-à-dire qu'elle est l'hétérosexualité à la petite différence près."

La différence qu'il fait entre les garçons et les filles, il l'indique dans sa lettre à Roger Peyrefitte du 15 février 1939 (p. 54) : "Telle est leur race (celle des garçons) et je le savais à seize ans déjà. Avec l'autre race, il faut en remettre; avec la leur, il faut retenir."

Ces deux citations mettent bien en lumière que pour Montherlant, ces jeunes garçons, son objet, sont le phallus lui-même. C'est en effet le nom que l'on peut donner à cette "petite différence" qui permet de ne pas en "remettre", à savoir que l'idée de complétude, d'une totalité suffisante est telle qu'il faut plutôt retenir car en rajouter n'est pas nécessaire.

Par ailleurs, on voit bien que l'idée là de la féminité est directement liée à l'inaccompli, il va même jusqu'à faire valoir que la différence d'âge vaut pour la différence de sexe! C'est en fait instaurer une instance qui ferait de La femme, non barrée et non différente, un équivalent du Un phallique, idéal à atteindre en quelque sorte.

Le non-rapport à l'Autre quand on se contente de le prendre au pied de la lettre

Ces personnages n'ont pas de rapport avec l'Autre sexe : Kant était puceau, Montherlant, pédophile.

Mais s'il est, au sens de Lacan, un célibataire, c'est qu'il met hors-jeu l'Autre sexe, le ravalant en l'occurrence de tout son mépris, prenant " le Réel (du sexe) d'un seul côté ", celui de gauche dans les formules de la sexuation. Il fait venir à la place du partenaire féminin, de l'objet a, le Un phallique ou des petits j symbolisés dans le véritable comptage qu'il fait des petits garçons. Ainsi, il évite La femme barrée, la met de côté voire la diffame.

(Kant sacrifie aussi l'organe mais la jouissance phallique circulant dans le signifiant, il reste dans la même logique.)

CONCLUSION :

Ce qui est frappant dans cette qualification par Lacan de l'homosexualité masculine comme éthique du célibataire est qu'il prend pour exemple dans le même paragraphe de Télévision deux hommes dont l'un, Kant, était puceau, l'autre, Montherlant, pédophile. Le critère n'est donc pas pour lui le goût érotique ni la consommation de l'acte, mais bien plutôt la position par rapport à l'Autre sexe.

C'est d'ailleurs pourquoi dans Encore, (p. 78) il la qualifie de horsexe, celle qui n'a pas de rapport avec le sexe; ce dernier étant pris dans le sens classique : les personnes du sexe, ce sont les femmes. " Le sexe comme tel, à entendre au sens où l'être parlant le présente comme féminin. " dit-il p. 307 du Discours de clôture des Journées sur les psychoses chez l'enfant les 21 et 22 octobre 1967 paru dans Enfance Aliénée 10/18 Paris 1972.

C'est déjà d'ailleurs la position de Lacan commentant le livre de Delay "Sur la jeunesse de Gide" dans les Ecrits. C'est la relation de Gide à sa mère chez qui il pointe l'homosexualité féminine qu'il note et la présence d'au moins une femme pour Gide en la personne de Madeleine.

Jacques-Alain Miller dans la Revue n° 25 souligne lui aussi que Lacan insiste sur la particularité du cas et remet en question l'homosexualité comme entité clinique.

Il insiste sur la prégnance dans tous les cas d'homosexualité, féminine ou masculine, du désir de la mère et de la difficulté pour l'enfant à trouver la place de son propre désir.

BIBLIOGRAPHIE :

1. Arsenij Goulyga : Emmanuel Kant une vie Édition Aubier 1985

2. Michel Mohrt : Montherlant "homme libre" paru en 1942, réédition avec Préface de l'auteur 1989. Édition La Table ronde.

3. Biographie de Montherlant dans Éditions Balises chez Nathan.

4. Henry de Montherlant-Roger Peyrefitte Correspondance. Éd. Robert Laffont 1983.

5. H. de Montherlant : Les célibataires (1933) : Édition Livre de poche 1962

6. Michel Raimond : Les romans de Montherlant Éd. Sedes 1982

7. Pierre Sipriot : Montherlant sans masque Édition Livre de Poche

8. Colette Soler : Les variables de la fin de la cure - Cours 92/93

9. Marie-Jean Sauret : "Célibataire" de la vérité Revue 28 Octobre 1994

10. Jacques-Alain Miller : Silet Cours 1995

11. Jacques-Alain Miller : Transcription Cours fin 1988 in Revue 25 " Sur le Gide de Lacan ".

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