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Affectio Societatis

par Jacques-Alain Miller

L'affect et le contrat

Que le Droit fasse place à l'affect, surprend. Rien ne semble plus éloigné du Droit que le registre des affects. Nous signons un contrat. Nous ne pouvons dire le lendemain: « La tête de ce monsieur ne me revient plus, je déchire le contrat  »- au moins sans pénalité. Le Droit est précisément fait pour que les affects n'affectent pas les contrats. Les affects passent, le contrat demeure. S'il faut pourtant mentionner dans le contrat associatif une condition affective, c'est peut-être que "l'ordre symbolique" ne suffit pas, qu'il y a un "au-delà du contrat", avec quoi le Droit même doit composer.

Est ce imaginaire ?

Cet « autre chose » est-il de nature imaginaire ? Au niveau imaginaire, la relation standard n'est pas le contrat, ni l'affection, c'est l'assassinat - ou toi ou moi, moi ou les autres. Voir le stade du miroir. L'agressivité perdure, sous une forme ou une autre, dans le lien social, elle surgit dès que fléchit le discours qui la contient. Certes, il y a l'amour, enraciné dans l'imaginaire. Mais l'affectio societatis  n'est certainement pas l'amour.

Les incompatibilités

Disons un mot du mariage, qui n'est pas l'amour non plus. Le mariage est un contrat. On admet comme motif de divorce ce que l'on nomme en français l'incompatibilité d'humeur. Voyez Charles et Diana: quand elle veut danser, lui monte à cheval, quand il rentre, elle sort, et vice-versa. Dans incompatibilité- Lacan parle du mot dans sa Radiophonie, il y a pathos: il s'agit de souffrance, d'une certaine manière de souffrir. Le mariage n'est pas qu'un contrat, c'est peut-être le désir de souffrir ensemble, de souffrir l'un par l'autre, avec l'autre. La vérité: c'est que l'un est toujours incompatible avec l'autre. Quand on ne veut plus l'être, c'est alors qu'on divorce. L'humeur de l'un et celle de l'autre sont dites incompatibles. Mais l'incompatibilité s'établit surtout entre humeur et contrat: un certain état de l'humeur est incompatible avec le contrat. Et c'est ce que le contrat prévoit: la condition d'humeur.

L'impuissance des statuts

Il s'est développé dans le Champ freudien une importante industrie statutaire. Les statuts ne peuvent rien sans affectio societatis. J'entends bien que la pulsion de mort et le stade du miroir jettent une ombre sur la validité de cette notion. Il se pourrait que ce ne soit qu'une fiction sans incidence pratique. Pourtant, Lacan invite les analystes de son École à être bons camarades. Est-ce de l'humour ? Est-ce à prendre au sérieux ? Chacun choisit.

Seul ou ensemble

Distinguons deux versants: que fait-on seul et que fait-on ensemble ?

Dans le domaine sexuel, il vaut mieux, pense Freud, être deux. L'acte solitaire n'est pas recommandé dans la psychanalyse comme il l'était chez les cyniques. Pourtant, la pulsion atteint son but en se bouclant sur elle-même. Mais justement, est-elle sexuelle ? Le discours analytique prescrit d'aller tout seul chez son analyste. Quand on vient accompagné, comme c'est le cas pour les enfants, ou certains phobiques c'est spécial. Quand on est plusieurs à entrer dans le cabinet, c'est une thérapie de groupe, non l'analyse. L'analyste, de son côté, est seul. Il peut être en contrôle, mais le contrôleur ne vient pas s'asseoir à côté de lui, lui apprendre à piloter la cure. L'analyste, seul, et l'analysant, seul, font couple néanmoins, mais seulement pour l'analysant. Ainsi, en tant que seul, a-t-il rapport avec l'association de ces deux solitudes. Du côté analysant, l'affectio societatis  s'appelle "transfert" . Le "contre-transfert", en revanche, n'est pas convénient: l'analyste ne s'associe pas. Dans une École telle que nous l'entendons, de quel côté est l'enseignement ? Plutôt du côté du « seul ». Il serait dangereux de le collectiviser. Les statuts le précisent: « Quiconque enseigne le fait à ses risques. »

Le pas-moi

Nous avons certainement à protéger le versant de la solitude: celle du patient, celle de l'analyste, celle de l'enseignant. Simultanément, affirmons la dignité de ce que nous faisons ensemble: des colloques, des publications, des bibliothèques, des cartels, des jurys. L'être-ensemble, le Mitsein, est-il plus difficile entre analystes ? Lacan le pensait. Ce qui fait l'analyste rebelle à l'identification est cela même qui lui rendrait insupportables ses collègues. Mais c'est aussi de la position de moins-un, de sauf moi, que le névrosé assure volontiers sa jouissance. Il se décompte. Position qui a sa dignité, et qui apparaît souvent à l'origine de « la vocation psychanalytique ».

Le pour-tous

Une École est établie sur des règles universelles, sur le pour tous, comme l'a rappelé ce soir Jorge Forbes, ce pour tous, véritable fascinum des pas-moi. L'affectio societatis  introduit un élément supplémentaire, qui se loge dans une défaillance de l'universel. Tout du lien social ne peut être capturé par l'universel, le Droit en témoigne. Là où le Droit dit affectio societatis, Freud dit Eros. Voyez la Massenpsychologie. L'identification symbolique à un signifiant-maître ne sature pas tout ce qu'il en est du groupe. Il faut y ajouter le facteur pulsionnel, dont le versant agrégatif est désigné comme érotique. En tant qu'il s'inscrit comme un élément supplémentaire dans l'en semble, donnons-lui le nom qu'il doit à Lacan: l'objet (a).

L'objet a de l'École

Allons-nous parler de l'objet (a) de l'École ? C'est certainement problématique. Pourtant, ce soir, à Rio, essayons. Nous nous comprenons. Au moins, nous pensons nous comprendre. Tout à l'heure, on a applaudi. C'était d'ailleurs la première fois: hier, à Sao Paulo, on n'a pas applaudi. Peut-être n'est-ce qu'à Rio qu'il y a l'objet (a) de l'École. Ce petit apologue est pour localiser dans le groupe l'objet (a) au niveau du « on se comprend »: ce sont les significations que les membres ont en commun, c'est le pain et le vin qu'on se partage.

Il y a deux soirs, à Curitiba, Jorge Forbes commençait son intervention en disant: « La terre est bleue. » On a souri. Tous, sauf moi. Je n'avais pas la moindre idée de ce que cela voulait dire. Je saisissais le sens « littéral », mais non pas sa valeur. Il a fallu qu'on m'explique que la phrase était de Gagarine dans son Spoutnik, et qu'elle était célèbre au Brésil, par des voies que je ne sais pas. Vous la connaissiez ? (oui). Parfait, vous vous entendez avec les collègues de Curitiba (rires). Je savais seulement que A terra é azul se traduit en français par La terre est bleue, sans savoir que cela venait du russe et que c'était proverbial, ou au moins lexicalisé au Brésil. J'ignorais sur quelles bases Jorge Forbes s'entendait avec son public. Donc il y avait là de l'objet (a). L'objet (a) est présent chaque fois qu'« ils se comprennent entre eux ».

L'effet sectaire

L'ordre symbolique a pour horizon le discours universel. Ce qui y fait obstacle, c'est l'objet (a), qui toujours particularise. L'Association qui nous réunit a beau être « mon diale » - au moins est-ce son nom, son voeu - nous nous comprenons entre nous d'une façon qui nous distingue des autres, par des références, des allusions, des non-dits, qui sont les nôtres, et qui donnent l'impression à ceux qui ne sont pas de la paroisse, qui ne relèvent pas de notre affectio societatis, que nous sommes une secte parlant son jargon. N'est-ce pas vrai ? Chaque fois qu'il y a affectio societatis, qu'il y a groupe et objet du groupe, il y a particularisation, effet sectaire. On peut bien le com battre, il naît tous les jours, il sourd du groupe par tous ses pores.

Ne pas fatiguer l'objet a

Ne misons pas trop sur ces affaires de statuts. Pour qu'il y ait une École, il s'agit d'abord qu'il y ait affectio societatis. Le peintre Braque disait: « Les preuves fatiguent la vérité.» Il ne faut jamais fatiguer l'objet petit (a).

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