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LA CLINIQUE ANALYTIQUE DE LA MÉLANCOLIE

(François Morel, ce texte a servi de base pour une séance de l'enseignement théorique de l'Antenne clinique d'Aix-Marseille le 31/5/96)

I : INTRODUCTION : les intérêts analytiques de la mélancolie.

II MÉLANCOLIE ET PSYCHIATRIE

   II.1-Mélancolie et représentation picturales

   II.2-Mélancolie et référence subjective : l'enveloppe formelle du symptôme.

   II.3-La désubjectivation de la psychiatrie moderne : DSM III & IV.

III : DE LA PSYCHIATRIE À LA PSYCHANALYSE : RETOUR À LA RÉFÉRENCE ETHIQUE

   III.1-L'aïfication"

   III.2-L'adhésion du mélancolique aux thèses psychiatriques

   III.3-La suppléance par "l'hypernormalité pathologique" : l'ego intercritique (aperçu)

   III.4-La jouissance identifiée au lieu de l'Autre : "Je" suis une ordure  

  III.5- -Mélancolie et phénoménologie : le mélancolique comme déchet de l'idéal philosophique

IV : EN TERMES FREUDIENS...

  IV.1 -La différence identificatoire entre deuil et mélancolie.

   IV.2-Illustration de cette différence : un fragment d'Hamlet, choix de l'être et non du semblant...

  IV.3-Témoignage d'un mélancolique guéri : le retour du semblant.

INTRODUCTION : les intérêts analytiques de la mélancolie.début

Quelle pertinence y-a-t'il à parler encore de la mélancolie?

Ce n'est plus pour communiquer avec le champ psychiatrique. Les références à Henri Ey, Kraepelin, etc, sont dépassées depuis au moins 15 ans. Si nous parlons encore de la mélancolie, c'est parce que sa clinique garde pour nous valeur majeure d'enseignement. En ce sens, je donnerais rapidement deux arguments:

1) La mélancolie occupe une place-clef dans l'édifice théorique freudien. Freud aborde sérieusement la mélancolie à partir de la construction de sa deuxième topique fondée sur le primat de la pulsion et la dualité pulsionnelle. Dans "Le Moi et le Ça"(1923), il conclue le dernier chapitre par une théorie généralisée du sentiment de culpablilité inconscient. Ce sentiment estdécrit comme une butée de la cure analytique et comme le responsable de son fréquent inachèvement. Ce sentiment de culpabilité inconscient est à l'origine de "la réaction thérapeutique négative". Pour Freud, la mélancolie est mise à ciel ouvert, démonstration clinique de ce sentiment de culpabilité inconscient procédant de la pulsion de mort, mot freudien de la jouissance. Il fait alors de la mélancolie "pure culture de la pulsion de mort"(1).

2) Lacan parle extrêmement peu de la mélancolie. Mais, comme Freud, il lui donne une place fondamentale dans le repérage de la position du sujet en fin de cure. Le dévoilement de la jouissance inconsciente célée en l'objet donne une orientation maniaco-dépressive à la fin de la cure analytique. Cette fin "maniaco-dépressive" procède de la désidéalisation de l'objet, du fait de la traversée de l'identification symbolique. La mélancolie est la aussi une clinique à ciel ouvert de l'objet du désir, une laparotomie de l'inconscient, où l'objet du désir n'est plus refoulé mais forclos. Elle offre une clinique de l'objet qui n'est plus pris dans la métaphore de l'amour dont Lacan souligne les limites à la fin de son séminaire sur le Transfert :

"L'amour ne peut que cerner le champ de l'être..."

soit : le rapport à l'objet ne se fait que par la métaphore, métaphore de l'amour, qui substitue le désirant au désiré :

Désirant <= >   I  <=> Phallus

______       _      ______

désiré          a       objet

L'objet est toujours placé derrière le paravent qu'est le signifiant du trait unaire. L'objet n'est supportable par le sujet que dans la mesure où il est investi par le phallus. Le désir de l'objet en tant que le sujet en est séparé réalise une défense contre cet objet, dont la nature de jouissance est cachée.

"...et l'analyste, lui , ne peut penser que n'importe quel objet peut le remplir, voilà où nous, analystes, sommes amenés à vaciller, sur cette limite où se pose la question de ce que vaut n'importe quel objet qui entre dans le champ du désir. Il n'y a pas d'objet qui ait plus de prix qu'un autre&emdash; c'est ici le deuil autour de quoi est centré le désir de l'analyste".

La mélancolie, c'est là tout l'essentiel de son intérêt analytique, montre une catégorie clinique où s'observe cette vacillation du rapport avec l'objet cause du désir, qui dans les crises, n'est plus derrière le paravent du trait unaire qui procède d'une identification symbolique du sujet au lieu de l'Autre.

II MÉLANCOLIE ET PSYCHIATRIE début

La mélancolie n'est pas une classe clinique définitivement établie. Il n'est pas absolument clair, contrairement à ce qu'invite à penser les historiens de la psychiatrie que le terme mélancolie ait toujours recouvert ce que nous entendons dans son sens moderne. La mélancolie d'Hippocrate n'est peut-être pas la même que celle de Pinel et Esquirol, celle de Kraepelin n'est pas celle du D.S.M III. Aussi est-il particulièrement important que nous en précisions la référence.

II.1Mélancolie et représentation picturalesdébut

Les représentations picturales de la mélancolie ne donnent pas une grande impression d'homogénéité d'une époque à l'autre.

Melancolia I de Dürer (1517), qui fait date dans l'histoire de l'art, représente une femme prise au centre d'un chaos symbolique qu'elle a manifestement dui mal à rassembler. Dürer la montre munie d'ailes mais lourdement posée sur le sol, vêtue d'une robe longue mais sans grâce, une guirlande dans des cheveux qui restent pourtant emmêlés. Elle fronce les sourcils d'un air sévère, et son désarroi s'inscrit dans un cernement par des symboles de l'étude, du devoir et de la souffrance : une cloche, un sablier, une balance, une mappemonde, une échelle et des clous. Elle a tous les moyens de l'élévation sans y participer. La dimension, le procès éthique de la mélancolie s'expriment alors pleinement.

Inversement, le tableau de Géricault intitulé mélancolie (début XIXème, contemporain d'Esquirol) la montre déjà cernée par les sciences humaines. Le tableau est tout entier centré sur le corps et il n'y a rien autour de la dame prématurément vieillie. Le tableau correspond tout à fait aux descriptions cliniques ultérieures du figement dépressif : la lourdeur est toute entière ramassée sur l'expression du visage et la posture. Le texte du désarroi mélancolique se transmue entièrement en signes cliniques. Ce dernier tableau anticipe de façon remarquable la perte, plus exactement le gommage de la référence éthique dans l'abord clinique moderne de la mélancolie, et plus généralement de la dépression. On pourrait presque remplir une échelle de dépression en le regardant. Il illustre, en l'anticipant, le silence de la clinique psychiatrique moderne quand à la question du sujet.

II.2Mélancolie et référence subjective : l'enveloppe formelle du symptôme début

Les références cliniques psychiatriques auxquelles nous renvoyons pour situer la clinique de la mélancolie resteront celles de Lacan et aussi celle de Freud. Ce n'est pas par fidélité de principe, mais parce que la clinique analytique présente des exigences qui ne sont plus compatibles avec la psychiatrie moderne.

En effet, Lacan, dans le texte introductif de la deuxième partie de ses Écrits, intitulé "de nos antécédents", renvoyant à Clérambault et à Kraepelin (2)  se dit fidèle dans ses choix psychiatriques à une clinique qui respecte la prise du texte subjectif, l'enveloppe formelle du symptôme, vraie trace clinique...

II.3La désubjectivation de la psychiatrie moderne : DSM III & IVdébut

Dans la psychiatrie moderne des classifications D.S.M III(3)  puis IV (4)  , nous ne trouvons plus cette prise en compte du texte subjectif, cette position somme toute assez humble de "secrétaire de l'aliéné"(5)  conforme à l'éthique de la psychanalyse. Dans cette dernière classification, la spécification de "mélancolique" pour le trouble de l'humeur appelé "état dépressif majeur" est centrée sur les critères d'endogénéité de l'accès, et pour ainsi dire plus du tout sur la thématique du sujet. "Caractéristiques mélancoliques" est devenu une spécificité du trouble dépressif majeur, en quelque sorte l'adjonction d'un "turbo" à la dépression, où les traces de la dimension éthique apparaissent bien ténues :

A. L'un des éléments suivants a été présent au cours de la période la plus grave de l'épisode actuel :

(1) perte du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités

(2) absence de réactivité aux stimulus habituellement agréables (ne se sent pas beaucoup mieux, même temporairement, lorsqu'un évènement agréable survient).

B. Trois éléments (ou plus) parmi les suivants :

(1) qualité particulière de l'humeur dépréssive (c.à.d. l'humeur dépressive est ressentie comme qulitativement différente du sentiment éprouvé après la mort d'un être cher)

(2) dépression régulièrement plus marquée le matin

(3) réveil matinal précoce (au moins 2 heures avant l'heure habituelle du réveil)

(4) agitation ou ralentissement psychomoteur marqué.

(5) anorexie ou perte de poids significative

(6) culpabilité excessive ou inappropriée

De même l'existence de "caractéristiques psychotiques" est un addendum qui s'inscrit dans une spécification de sévérité à l'épisode thymique. On distingue s'il s'agit de caractéristiques psychotiques "congruentes" ou non à l'humeur.

Inhérente à ce traité, la recherche à tout crin d'une transparence du langage dans les communications entre cliniciens repose sur un fantasme alimenté par ceux de l'esperanto ou ceux plus franchement psychotiques de la langue universelle. Cette recherche, par le principe même de son idéal, efface la considération du sujet du signifiant avec ses impasses et ses butées "anti-communicatives" qui importe au psychanalyste.

La mise en avant de plus en plus accentuée de l'ineffable du trouble de l'humeur tend à écarter, à nier l'incidence du langage chez le sujet. Déjà, Jean Delay dans son ouvrage (6)  sur les dérèglements de l'humeur insiste pour dire combien les troubles de l'humeur ne sont pas une conséquence de la thématisation du sujet, combien le trouble de l'humeur est différent des spleens, de la tristesse, soit ce qu'il reconnait pour effet de langage.

III :DE LA PSYCHIATRIE À LA PSYCHANALYSE : RETOUR À LA RÉFÉRENCE ETHIQUEdébut

La mélancolie semble a priori confirmer cette thèse : elle se prête particulièrement bien à la forclusion du sujet dans le champ psychiatrique, et on sait qu'elle est le fer de lance de la recherche en psychiatrie biologique. C'est parce que sa clinique conjoint d'une part l'efficacité rapide et parfois spectaculaire des thérapeutiques biologiques, d'autre part l'inefficacité de la psychothérapie et de la psychanalyse, du moins dans la phase aigue.

Va également en ce sens, l'évolution de la clinique qui perd de sa finesse discriminante pour adopter une terminologie franchement mécaniciste : dépression, par exemple n'évoque plus aucune référence éthique, mais plutôt de la tuyauterie : seulement une chute de pression. Pour la psychiatrie moderne, il importe autant que possible de se défaire de toute référence au sujet, notamment en cherchant des invariants. La psychopathologie dite quantitative s'inscrit dans ce dispositif de désubjectivation du signe psychiatrique alors que les finesses discriminantes de la clinique psychiatrique classique s'appuyaient particulièrement sur le registre des implications subjectives. Ainsi s'efface la référence procédurière de la mélancolie, qui était celle du sujet misérable, coupable, menacé, frappé par une douleur morale intense et qui renvoie profondément aux références éthiques. Ce sont maintenant les signes de dysthymies qui sont mis en avant : insomnie du petit matin, constipation, inappétence, asthénie matinale, affinement de l'étude du registre psychomoteur (l'oméga mélancolique trop rare certes mais aussi trop expressif disparait au profit du figement mimique, du caractère soudé des racines, de la perte de la mobilité du tronc (7)   ). Les signes dit subjectifs, dans la psychopathologie quantitative (les echelles de dépression) ne sont pris en compte que dans leur colinéarité, leur corrélation au sens mathématique à la dysthymie.

III.1"L'aïfication"début

Il apparait clairement que ce que tente de cibler la clinique psychiatrique moderne de la mélancolie se fait à l'image de la médecine somaticienne : c'est ce qui de l'être échappe à la prise du symbolique, de la parole, en tant que dimension propre; c'est ce qui de l'être reste, formalisé comme l'objet (a ) après que l'on soit sûr que la prise du symbolique ait été éliminée. Le sujet comme tel, du moins ce qui peut se dire Je, pris dans ce que Lacan appelle "fidélité à l'enveloppe formelle" en est forclos.

III.2L'adhésion du mélancolique aux thèses psychiatriquesdébut

C'est justement ce fait qui a à voir avec la structure de la mélancolie : qu'il se prête si bien à cette forclusion du sujet, qu'il ne revendique pas sa subjectivation dans l'Autre. L'être mélancolique représente dans le domaine psychiatrique l'idéal du discours de la science. Il n'y a pas en dans la clinique psychiatrique d'être plus <<chosique>> que le mélancolique, c'est-à-dire plus docile, plus traitable chimiquement ou électriquement, et présentant au plan clinique un contraste aussi saisissant entre la période de l'accès et sa guérison : "anhistorisation" de l'accès d'une part, et remarquable silence clinique de l'autre en dehors des accès. C'est ce qui répond dans la structure au terme d'"aïfication", que j'emprunte à Colette Soler et qui décrit l'identification du mélancolique à l'objet (a).

III.3-La suppléance par "l'hypernormalité pathologique" : l'ego intercritique (aperçu)début

La transparence clinique intercritique de la mélancolie, la bonne santé mentale entre les accès, si commode et si séduisante, a été longue à remettre en cause , et elle ne l'a été sérieusement, quoique dans un cercle très restreint, qu'avec les traits dits de "l'hypernormalité pathologique" découverts par Tellenbach (8)  (et non pas à partir des travaux d'Abraham qui assimile à tort mélancolie et obsessionnalité) . Il est à remarquer que cet être hypernormal, hyperconforme, moi réel incarné, collabore d'une façon exemplaire avec le médecin dans les périodes séparant les accès.

III.4-La jouissance identifiée au lieu de l'Autre : "Je" suis une orduredébut

Tout ces éléments concourent pour confirmer l'aspect chosique de l'accès mélancolique, ce qui va bien dans le sens fondamental du délire mélancolique où le sujet lui-même, ce qui se dit «Je», a une structure isomorphe à l'hallucination. «Je» retourne dans le réel. «Je» est une ordure. «Je» pue. Le sujet mélancolique est celui qui s'identifie lui-même comme jouissance au lieu de l'Autre.

Par l'opération de la clinique moderne le statut d'objet (a) du mélancolique passe de celui d'ordure, de déchet, à celui d'une chose précieuse particulièrement prisée par les médecins en particulier dans le milieu universitaire, donc plus agalmatique. Malgré les critiques précédentes, c'est malgré tout de même un gain de statut tout à fait appréciable qu'il ne faut pas négliger. La mise en forme d'une suppléance se dessine là, elle barre dans grand nombre de cas la conséquence la plus dommageable et qui est aussi la plus grande résistance du sujet à la psychanalyse : la disparition du sujet par sa mort dans l'acte-suicide.

Ainsi parmi les malades psychiatriques, il est celui qui s'inscrit le mieux dans un discours scientifique. Le vide existentiel qu'il montre ressemble au réel silencieux, non trompeur car apparemment désert du signifiant. Il est la place vide, nettoyée de ses effets de vérité dont les scientifiques usent pour opérer. Il est la jouissance submergeant et faisant disparaître le terre plein de l'Autre.

En effet, quels phénomènes de langage sont à l'oeuvre dans la mélancolie? Ici la psychanalyse semble mise en échec. Comme le souligne Colette Soler (9) , les effets de langage ne sont pas au premier plan dans la mélancolie. La clinique témoigne au contraire de la raréfaction de l'effet de langage chez le sujet mélancolique : on parle de vide, d'anesthésie, de ralentissement, de figement, voire de pétrification. Le sujet en tant que véhiculé par le signifiant s'estompe dans la mélancolie-accès, et est absolument absent, inévocable après la guérison: il n'y a pas d'après-coup de l'accès. L'accès mélancolique est hors chaîne : c'est son côté anhistorique.

Au lieu d'y avoir du signifiant, il y a une faute de signifiant. Mais ça ne veut pas dire absence de tout effet de langage. Cette faute de langage est d'abord encore rapport au signifiant en tant que se tenir hors de son champ, à côté, ek-sister au signifiant. C'est la douleur morale qui est la douleur d'exister. Cette ek-sistence coupable à l'ordre du signifiant dans laquelle les mélancoliques se trouvent fixés est au fond la matrice commune à la plainte de tous les mélancoliques . Il ne s'agit non pas de la désobéissance à une loi signifiante, ruer dans les brancards dirait-on, qui implique qu'elle ait effet, mais plutôt que le fait même de cette loi libératrice ne soit pas reconnue, pas à disposition du sujet dans la mélancolie, sujet qui se découvre alors réel, privé du harnais du symbolique, "aïfié".

III.5-Mélancolie et phénoménologie : le mélancolique comme déchet de l'idéal philosophiquedébut

Nous ferons ici une référence, ici lapidaire, à la psychiatrie phénoménologique, qui a indéniablement approfondi la clinique de la mélancolie. remarquons que les patients mélancoliques de Minkowski (10)  se tiennent en dehors du flux bergsonien de la durée et du temps vécu, que ceux de Binswanger (11)  dérogent à la loi signifiante husserlienne, c'est à dire aux temps constituants de la conscience transcendentale (retentio, presentatio, protensio), que ceux de Tellenbach (12) , qui est un peu plus fidèle à Heidegger, ont un Dasein fixé sur le rester-derrière-soi de l'être-en-faute.

Ces descriptions phénoménologiques, marquées par le sceau de l'allégeance des auteurs à un idéal philosophique (qui est l'idéal d'un système signifiant parfait I(A)) sont dans le fond isomorphes au procès de la mélancolie. Leur clinique de la mélancolie traduit l'exclusion du sujet mélancolique de ces systèmes philosophiques idéaux : le Dasein "lépreux" est la modalité par laquelle ils expriment le rejet de l'inconscient chez le mélancolique.

IV : En termes freudiens...début

En termes freudiens le sujet reste rivé au fond du Ça. Freud dans son article de 1915 "Deuil et Mélancolie"indique que dans la mélancolie, les combats de la libido menés autour de l'objet ne peuvent être situés dans un autre domaine que l'Ics, le royaume des traces mnésiques de choses par opposition au investissement de mots du préconscient (13) . Au lieu de «Là où c'était dois-Je advenir» (Wo es war soll ich werden) on peut entendre chez le mélancolique quelque chose de l'ordre de « Là où c'était, y suis-Je encore, Je est resté, et n'adviens-Je pas à la signifiance de ce que «Je» devrais dire». Où ce «Je» est trainé comme un boulet dans la chaîne du discours. L'acte suicide est une tentative de guérison radicale: sûrement détache-t-elle le boulet, mais malheureusement la chaîne disparaît également pour le sujet qui n'est plus.

IV.1La différence identificatoire entre deuil et mélancolie. début

Il y a ainsi tout à fait lieu de distinguer à partir de ce texte de Freud deux identifications d'où procéde la distinction entre deuil et mélancolie :

1)l'identification à l'objet qui procède du deuil, dans laquelle l'investissement, (la mise en vêtements, l'habillage) est investissement de mots qui ratent la chose en se substituant à elle dans l' opération métaphorique (14)  décrite plus haut. L'objet est dans ce cas spécularisé i(a), c'est-à-dire qu'il est saisi, raté par le signifiant I qui permet de spéculariser l'Autre I(A). Le signifiant qui est ici en jeu est le phallus en tant que signifiant du désir. Lacan souligne que ce qui est investi dans le rapport à l'objet, ce n'est pas l'objet mais le phallus en tant que signifiant. La marque de ce prélèvement symbolique, de cette élévation du phallus à la dimension symbolique est son escamotage dans l'image spéculaire (-phi) ou l'objet apparait aphallique (cf Vénus sortant des flots). C'est en tant qu'il est prélevé dans l'image qu'il est mis en jeu en tant que désir F. "Le phallus &emdash; comme signifiant&emdash;s'incarne dans ce qui manque à l'image (15) " .

2) l'identification à l'objet du mélancolique qui procède d'autre chose que de cet investissement, de cet habillage par les mots. L'identification à l'objet du mélancolique, au contraire, le laisse collé à l'objet, et empêche le travail du deuil qui est foncièrement travail signifiant. Dans la mélancolie, l'objet perdu est et reste du réel(16) , il n'est pas irréalisé par le symbolique. Le mélancolique s'équivaut à l'objet perdu sans médiation signifiante, alors que l'endeuillé saisit cet objet perdu avec les pincettes du signifiant.

IV.2Illustration de cette différence : un fragment d'Hamlet, choix de l'être et non du semblant...début

Un fragment d'Hamlet montre d'une façon remarquable cette distinction du deuil et de la mélancolie. Il se situe au début de la pièce, avant le dialogue avec le spectre de son père revenant d'entre les morts.

(je vous livre le sous-titrage de l'interprétation d'Hamlet par Laurence Olivier, il est assez assez fidèle au texte et plus vivant)

La reine, mère d'Hamlet, debout, assez alerte et mobile, se déplace pour s'adresser à son fils prostré, affaissé sur son siège:

&emdash;Cesse de chercher ton père dans la poussière, c'est là le sort commun...

&emdash; Oui, le sort commun, reprend en écho Hamlet, indiquant par là que ni lui, ni son père ne font partie de cette communauté là.

&emdash;Alors pourquoi te semble si particulier?

&emdash;Me "semble", s'exclame Hamlet , reprenant encore en écho le signifiant "semble", il l'est, Madame, corrige-t-il. Ni vêtements, ni marque de deuil n'expriment ce que j'éprouve. Voilà vraiment des "semblants". Mais ce que je ressens nul ne peut le voir. Le reste est simple harnais de la douleur.

Hamlet témoigne qu'il n'est pas pris au jeu des semblants, il est rivé à la chose douloureuse qu'il ne peut justement harnacher de ses semblants, il est là, dans cet instant pris dans l'identification du mélancolique qui touche à l'être, il se réalise comme hors du sort commun.

IV.3Témoignage d'un mélancolique guéri : le retour du semblant.début

Inversement, pour conclure, je vous citerai ce que m'a dit un patient en analyse au sortir de sa mélancolie, dont le cas ressemble par certains aspects&emdash;notamment le retour du père dans le champ spéculaire&emdash; à celui d'Hamlet avec une issue plus heureuse:

"Je peux maintenant parler de mon travail et être écouté. Maintenant, je ne peux pas dire que je m'admire dans un miroir, mais je me sens moins sale,...je me sentais scindé, déchiré, ou comme les flocons éparpillés dans une bouteille secouée, un manteau s'est reposé sur les choses : je peux parler et avoir le sentiment d'être entendu.

Et en même temps, je dis que ça va mieux, mais j'ai contourné le problème. Il y a quelque chose que je ne peux pas assumer. Mon passé reste attaché à moi comme une casserole.

Ce sujet témoigne de sa restauration dans le champ de l'Autre &emdash;le semblant recouvre les choses&emdash;, avec néanmoins, sous une forme minimisée, la présence de la faute qu'il s'assigne, qui reste là latente mais énoncée sous la forme de la casserole du passé, qui tinte à ses oreilles et fait se retourner les autres sur son passage.

BIBLIOGRAPHIE :début

1)S. Freud, Essais de Psychanalyses, "Le Moi et le Ça", 1923, ch 5, p. 268, pbp.

"Ce qui maintenant règne dans le sur-moi, c'est, pour ainsi dire, , une pure culture de la pulsion de mort, et en fait il réussit assez souvent à mener le moi à la mort , si ce dernier ne se défend pas à temps de son tyran en virant dans la manie".(retour au texte)

2)Lacan J.,Écrits, De nos antécédents, p. 65.(retour au texte)

3)D.S.M.-III American psychiatric association, Masson 1980 et Mini DSM-III-R, Masson 1989, p. 145-160.(retour au texte)

4)D.S.M.-III American psychiatric association, Masson 1980 et Mini DSM-III-R, Masson 1996, p. 161-197.(retour au texte)

5)Lacan J. Le Séminaire, Livre III, ch. XVI, "Secrétaires de l'aliéné"(retour au texte)

6)Delay J, Les dérèglements de l'humeur, Paris, PUF, 1945(retour au texte)

7)Tel que c'est développé par exemple dans l'échelle de ralentissement de Widlöcher(retour au texte)

8)Tellenbach H, La mélancolie, PUF, 1979(retour au texte)

9)Soler C., Les pouvoirs du symbolique, cours de 1989(retour au texte)

10)Minkowski E, Le temps vécu, Delachaux et Niestlé S.A, Neuchatel 1968(retour au texte)

11)Binswanger L., Mélancolie et Manie(1960), PUF 1987(retour au texte)

12)Tellenbach H, La Mélancolie, ouvrage cité(retour au texte)

13)Freud S.; Deuil et Mélancolie, in Métapsychologie (1915), p.171, col. Idées Gallimard(retour au texte)

14)Lacan J., Le Séminaire, Livre VIII, Le Transfert, ch XXVII, L'analyste et son deuil, p. 458 :

Pour le deuil , il est tout à fait certain que sa longueur, sa difficulté, tient à la fonction métaphorique des traits conférés à l'objet d'amour, en tant qu'il sont des privilèges narcissiques...le deuil consiste à identifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau à morceau, élément Ià élément I, jusqu'à épuisement...l'objet est presque toujours masqué derrière ses attributs.

Le travail du deuil apparaît ainsi comme un travail efficace de lutte contre le retour de l'objet au Moi, une défense par l'identifiacation signifiante, trait pour trait.(retour au texte)

15)J. Lacan, Séminaire VIII, Le Transfert, chapitre XXVII, L'analyse et son deuil.(retour au texte)

16)J. Lacan, Séminaire VIII, Le Transfert, chapitre XXVII, L'analyse et son deuil, p. 458 :

"L'objet y est, chose curieuse, beaucoup moins saisissable pour être certainement présent, et pour déclencher des effets infiniment plus catastrophiques....Je nesuis rien, je ne suis qu'une ordure".

Chaque mot pèse dans cette citation, soulignons : l'objet est, soit l'accès à l'être de l'objet, certainement présent, soit la certitude, marque du retour au réel. (retour au texte)

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