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La Cause des Filets


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Edition : François Morel

Comment devient-on un homme ou une femmme?
AMBIGUÏTES SEXUELLES, par Geneviève Morel

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N'Y ETRE POUR RIEN
OU
INTERPRÉTER POUR RENDRE SA LOGIQUE À L'INCONSCIENT?


Franz Kaltenbeck

Ne te fie jamais au vent qui gonfle tes voiles,
il est toujours périmé.

Samuel Beckett, Mercier et Camier, p. 65.



Après avoir déclaré que l'interprétation était morte, que son âge était derrière nous, J.-A. Miller a promis aux Journées de l'ECF en octobre 1995 de (leur) faire une interprétation. Il a alors formulé la devise que "l'inconscient interprète". Le jour même de son discours, deux représentants des cartels de la passe en fonction à l'époque sont descendus dans l'arène afin de corroborer ses propos grâce à leur expérience. Un d'eux, Antonio Di Ciaccia, a néanmoins réservé un rôle à l'analyste dans la passe. La grande majorité de l'Ecole s'est immédiatement ralliée à la formule de son guide, même ceux qui à ces mêmes journées avaient exposés les interprétations qu'ils avaient dispensées à leurs patients. Identification collective dont je ne vois pas comment on peut la concilier avec l'idée de l'interprétation analytique. Peu doué pour les motions consensuelles et les enthousiasmes collectifs, je ne me suis pas laissé enrôler dans leur mouvement. L'unanimité du groupe me parait incompatible avec l'action de l'analyste. Celui-ci n'en est jamais sûr avant d'avoir agi. Lacan articule ce manque de certitude - figure du désir du psychanalyste et de son acte - à son pouvoir comme interprète (Cf. Ecrits, p. 587-588.) Je ne crois pas que le Lacan du séminaire Encore soit revenu sur ce pouvoir très particulier. Ne craignant point d'enfoncer des portes ouvertes, je défendrai ce soir la place de l'analyste dans l'interprétation.

Un mot d'abord sur la grande nouvelle: "l'âge de l'interprétation est derrière nous". Sans doute, mais depuis quand? "Les oiseaux sont tombés, Manto se tait, Tirésias ignore", note S. Beckett au lendemain de la deuxième guerre mondiale. C'est paru en 1946, dans les Cahiers d'art ! Faudrait-il prouver devant vous que la Deutung de Freud n'existe que sur fond de ses constructions méta-psychologiques? Construction dans son Esquisse de l'apparail psychique "qui ne garantit rien de plus que l'hallucination de (...) la jouissance" (Lacan, Compte rendu du Séminaire de l'Ethique, in Ornicar? Nr. 28, p. 13). Et qu'est-ce qui importe le plus à Freud dans le rêve? Le travail. Dans l'oubli du nom propre? Sa morphologie. Dans le Witz? Ses rouages. Recherche solidaire de tous les mouvements qui privilégient la forme par rapport au contenu, qui préfèrent la structure au sens. La Bedeutung du phallus surnage dans ce travail méta-psychologique. Le symbolisme de l'inconscient suscite et produit les plus grandes resistances, comme le fait remarquer E. Jones en 1916. L'interprétation analytique dérange, même après 1920, par son paradoxe: elle qui est si incertaine veut établir une certitude!

Qui nierait que "l'inconscient interprète"? Cet énoncé est lui-même une interprétation. Non pas d'analyste mais d'un texte. J.-A. Miller renvoie à la page 118 du Séminaire XI, référence plus nette que celle où Lacan enseigne que le désir est son interprétation. (Il n'est pas possible de substituer l'inconscient au désir.) "L'interprétation de l'analyste ne fait que recouvrir le fait que l'inconscient (...) a déjà dans ses formations (...) procédé par interprétation." Comme vous vous rendez compte, Lacan ne gomme point l'analyste, aussi peu que dans la leçon XVIII du Séminaire II où il fait de la résistance une interprétation du sujet. Aussi faible qu'elle soit, l'interprétation de l'analyste reste inéliminable.

L'inconscient d'un sujet en analyse est affecté par son analyste et par le travail théorique et clinique que celui-ci accomplit. L'interprétation de l' inconscient comme celle de l'analyste ne sont pas indépendantes de la position théorique de l'analyste. Or, la théorie grâce à laquelle l'analyste interprète n'est pas tributaire du langage de l'inconscient. "Ce n'est tout de même pas du discours de l'inconscient que nous allons recueillir la théorie qui en rend compte", s'exclame Lacan dans La méprise du sujet supposé savoir (in Scilicet 1, p. 32.) où il rappelle que l'inconscient souffre "de la surcharge rhétorique" dénoncé dans le Witz du chaudron. C'est sans doute une des raisons pour laquelle Freud enseigne que la technique analytique est soustractive (Cf. Über Psychotherapie, in Schriften zur Behandlungstechnik, p. 112.) Serge Cottet a récemment souligné ce point ( Le déclin, et après , in La lettre mensuelle, 153, p. 12). Il est faux de dire que la théorie et le savoir ne doivent pas entrer en compte dans l'interprétation. Même un concept de la théorie peut y trouver sa place, à condition qu'il parle au sujet. La peur du métalangage cache mal la passion de l'ignorance. Il n'y a rien à dire contre le métalangage, s'il éclaire la structure! Cela se montre très bien dans le rêve du nourrisson, "couché sur le dos, comme une petite tortue renversée, et agitant ses quatre membres" que Lacan a interprété, en 1954, à une personne qui faisait un contrôle avec lui. "Tout de suite, pour des certaines raisons, j'étais amené à dire à la personne qui me rapportait ce rêve - Cet enfant, c'est le sujet, il n'y a aucun doute." (Séminaire II, p. 57). Certes, cette interprétation survient dans le cadre d'un contrôle mais je suis sûr de pouvoir trouver dans la littérature analytique des interprétations authentiques employant des termes théoriques: Par exemple, les explications dont Freud gratifie l'homme aux rats au début du traitement. Lacan les considère comme un "don symbolique de la parole" (Ecrits, p. 291), mais aussi comme une introduction du patient "à un premier repérage de sa position dans le réel" (Ecrits, p. 596). N'oublions pas que le mot "père" est un concept au même titre que le mot "sujet".
Alors, pourquoi ne peut-on se passer de l'analyste interprète? Je n'en donnerai ici que cinq raisons: l'opacité du symptôme, la jouissance de la castration, la tromperie de l'inconscient, l'objection au discours de la maîtrise et la non-communication de lalangue.


1) A cause du symptôme. P.-G. Gueguen écrit vers la fin de son article Discrétion de l'analyste dans l'ère post-interprétative (in La Cause Freudienne, 34, p. 36, 37) que "l'inconscient n'est pas donné d'emblée dans une psychanalyse; ce qui est là d'emblée c'est le symptôme et son cortège de plaintes ..." Je suis d'accord avec la première phrase mais pas avec la deuxième. La plainte n'est pas le symptôme et la partie problématique du symptôme est inconsciente, que l'on se situe dans la théorie de Fonction et champ... dans La logique du fantasme ou dans la perspective de l'inconscient réel du séminaire Encore où, à la page 118, citée par J.-A. Miller, l'inconscient devient "le mystère du corps parlant". (Cf. La fuite du sens, p. 196). Pouvez-vous donc tranquillement attendre qu'une hystérique traverse son fantasme alors qu'elle met, de façon répétitive, sa vie en danger et blesse son corps? Peut-être le Lacan du Séminaire XVII (1970) vous paraît-il terriblement ringard quand il parle d'une "collaboration reconstructive" entre l'analysant et l'analyste et nomme l'interprétation une "aide" que nous apportons à l'analysant (p. 101). Je ne vois pas non plus en quoi la théorie du transfert comme fermeture de l'inconscient aurait perdu de son tranchant. Lacan fait du transfert qui ferme l'inconscient "le point d'impact de la portée interprétative" (Séminaire XI, p. 120).


2) L'interprétation a la fonction d'amener l'analysant au-delà de la castration. L'inconscient agit de façon coercitive (discours du maître). Il vous pousse à dire ou à faire ce que vous ne voulez pas dire, ni faire, répondant à votre jouissance par la vérité de votre castration. Ce serait parfait si cette vérité arrêtait votre jouissance. Helas, il n'en est rien. C'est là où l'analyste à interêt à intervenir pour vous sortir du piège de la castration jouie.


3) L'inconscient ne fait pas seulement de l'esprit et vos rêves ne rendent pas toujours votre désir lisible. Parfois vous recevez de votre inconscient des phrases ambigües qui réclament votre décision et qui l'entravent en même temps. Tel Ponce Pilate, l'inconscient se lave les mains de ce qu'il a écrit. L'analyste peut-il faire pareil?


4) Dans son exposé L'interprétation à l'envers (in La Cause freudienne, 32, p. 10), J.-A. Miller présente un inconscient maître es rhétorique qui fait mieux que les analystes. Cet argument mérite d'être revisité car, si j'ai bien compris, on en revient après tout au bon vieux Witz freudien pour interpréter. L'argument de J.-A. Miller évoque les discours sur la mort de la peinture après l'invention de la photographie. Jamais un tableau parviendra à la même perfection dans la représentation des choses qu'une photo! N'a-t-on pas aussi reproché aux peintres abstraits de ne pas savoir dessiner d'après la nature? Qui interdirait à ses enfants d'apprendre un instrument parce qu'ils ne deviendront peut-être jamais des virtuoses? Face au discours de la maîtrise on ne peut que "rater mieux" (ses interprétations).


5) On se gargarise de la théorie de lalangue dans le séminaire Encore. Nous voilà enfin à la pointe! J.-A. Miller cite le célèbre passage de la page 126: "Lalangue sert à de toutes autres choses qu'à la communication. C'est ce que l'expérience de l'inconscient nous a montré en tant qu'il est fait de lalangue..." (Dans le Séminaire II qu'on oublie volontiers pour pouvoir prétendre que le Lacan de cette époque aurait rejeté la pulsion, nous lisons, p. 106, que c'est la pulsion de mort qui s'oppose à la communication.) Or, je vous demande de m'expliquer comment l'inconscient qui est fait de lalangue peut encore interpréter? (La racine gothique du verbe allemand deuten signifie à la fois "indiquer", "montrer" et "rendre conforme au peuple".) Est-ce que toutes ces activités sont vraiment pensables en dehors de toute communication? Le petit Michel Leiris jouit d'un signifiant insensé mais parfaitement inscrit dans la morphologie de la langue française: du mot reusement. Celui ou celle qui l' ont repris n'isolent pas du tout ce mot, ils le complètent: "L'on ne dit pas '...reusement', mais 'heureusement'." Et le petit Michel de se trouver connecté au "tissu arachnéen de (ses) rapports avec les autres".

Après l'examen de ces cinq raisons en faveur de l'interprétation de l'analyste, j'arrive maintenant à ce que j'appelle la théorie intégriste de la jouissance. Elle a deux faces. D'un côté, elle nourrit une illusion qui me paraît aujourd'hui particulièrement dépassée. C'est l'idée que la jouissance se niche dans des agrégats particuliers du langage où l'on n'aurait qu'à la cueillir. Les mots insensés témoigneraient ainsi d'une coalescence entre la jouissance et le langage. L'autre face consiste en une idée monolithique du réél. Son romantisme masque mal sa visée: 'Sortons de l'ennui, faisons-nous peur!'

Que l'inconscient se propage et s'exprime par équivoques et que l'on puisse parler d'une langue comme de "l'intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister" (L'Etourdit, p. 47), est indéniable. Nous savons également que ces équivoques renvoient à l'impossible du rapport sexuel. Une jeune hystérique me fait part de ses premiers traumas sexuels. Très jeune, elle s'est laissée séduire, en un premier temps, par un nommé Pierre, et, plus tard, par Paul, deux garçons appartenant à sa famille. Elle s'est défendue contre les assauts de Pierre mais Paul était aussi beau-parleur que maladroit . Quand il est parvenu à ses fins il avait une ejaculatio praecox.. Comparant les deux garçons, elle me disait que Pierre était sérieux et Paul "instantané". Or, comme elle n'entendait absolument pas ce qu'elle venait de dire , j'ajoutais à son discours: "C'est le cas de le dire." Pour apprécier le sérieux de son Witz il faut savoir que son père est parti de la maison deux mois après qu'elle soit née et qu'elle est allée le voir, après mon intervention pour lui reprocher de ne lui avoir été d'aucun secours. Le père avait été "instantané".


Je crois donc à la fertilité des équivoques mais je suis beaucoup moins fasciné par l'idée des S1 qui auraient résorbés leurs S2, comme l'affirme J.-A. Miller à propos de Finnegans Wake. (Cf. son artice dans La Cause freudienne Nr. 32). Cette idée me paraît être un fantasme et une régression (de la psychanalyse aux exercices de style surréalistes). Il n'y a pas de langage autiste, comme il n'y a pas de langage privé. Qu'est ce que ce serait d'autre que : "Blambe clic craquecrunch touba. Clac clac patrac. Bruit sourd, tas de flac, mâchenomme. Ya, ya, ya. Excusez-moi. Je suis le seul qui comprenne ces paroles." Vous trouvez ces lignes dans la Trilogie New-Yorkaise, un best-seller de Paul Auster. Le langage autistique du "pauvre Peter Stillman", un poète à ses heures, se réduit à un clin d'oeil de l'auteur à la poésie expérimentale. Je dis donc qu'une langue dont un sujet jouit ou dont il se sert pour surmonter une jouissance traumatique ne se limite jamais à des chaînes signifiantes insensées. Le non-sens n'a pas besoin d'être marqué au niveau des mots. Les théories du néologisme et du nom inconscient ne sont pas généralisables. Le rêve du matérialisme de la lettre ne se réalise qu'au prix fort. Ainsi Freud a poussé l'analyse de Miss Lucy R. jusqu'à un signifiant traumatique dont elle avait pâti, un interdit insensé, prononcé par l'homme qu'elle aimait. Mais ce signifiant n'était nullement distinct dans la chaîne signifiante. Et dans une journée récente d'enseignement sur la psychose à Lille on pouvait entendre quatre cas (mélancolie, érotomanie et paranoïa) dont aucun ne montra la moindre altération du langage au niveau de sa matérialité. (Guy Trobas a publié en 1988, dans Ornicar? 47 un article interéssant, intitulé Le symbolique altéré.) Ce qui était altéré, par rapport à la névrose, c'était le rapport de ces sujets au symbolique entier ou leur emploi de certains mots. C'est comme si le langage lui-même était un néologisme pour ces sujets, remarquaient nos collègues.


À force de ne pas différencier les jouissances au-delà des phénomènes, on garde un réel monolithique. Or, quand l'inconscient devient réel on lui suppose tous les pouvoirs en disant qu'il interprète. Est-ce qu'on n'avouerait par là aussi son désir "de n'y être pour rien"? (Cf. Introduction à l'édition allemande des Ecrits, p. 14). Mais apparement, l'analyste, selon la conception de J.-A. Miller, a une tout autre ambition. Il lui est recommandé de ne plus imiter la rhétorique des formations de l'inconscient, par contre il lui est permis de se faire faiseur de cauchemar. C'est ce qui nous est expliqué dans La fuite du sens: À la page 137 de ce cours, J.-A. Miller raille "le romantisme de l'Autre" chez le névrosé qui pense que l'Autre veut sa castration. Dans Encore, dit-il "il n'y a pas du tout cette figure terrifiante". Mais voyons , trois sémaines plus tard, dans son cours, ce qui vient à la place de cet Autre terroriste et fantasmé du névrosé: Il est remplacé par un Autre cauchemardesque! "C'est là, dans le cauchemar qu'il y a une véritable rencontre avec l'Autre, le vrai Autre, c'est à dire le réel", lisons-nous dans le cours. Et un peu plus loin: "Au fond, il faudrait pouvoir penser l'interprétation comme un cauchemar, et un cauchemar dont, en plus, on ne se réveillerait pas, qu'on ne pourrait pas fuir en se réveillant." (Cours du 20 mars 1996, p. 188). L'analyste qui imite les formations de l'inconscient est peut-être un objet de risée. Mais que faudrait-il alors penser de l'analyste qui tiendrait à singer le réel?


Freud avait une idée moins romantique du réel de l'interprétation. On entend souvent dire qu'il aurait signé l'arrêt de mort de l'interprétation dans Au-delà du principe du plaisir. C'est faux. Au contraire, les chapitres II et III de cet ouvrage recèlent une théorie nouvelle de l'interprétation. Si l'on veut saisir l'inconscient qui inclut la pulsion et celui qui est disjoint du sens - J.-A. Miller en parle dans son Cours - il suffit de lire attentivement ces chapitres. Ainsi, Freud y énonce "que la compulsion de répétition doit être attribuée au refoulé inconscient." (Chap. III) Mais il nous livre le critère de la nouvelle interprétation à propos du jeu de son petit-fils. Quand il en parle, il utilise deux fois le terme "interprétation" (Chap. II). Certes, celle-ci ne fut pas prononcé dans une séance, mais rien ne dous dit, tout au contraire, qu'elle n'ait pas eu d'effets. Freud interprète donc le jeu de la bobine qui est déjà une interprétation de l'inconscient. (Celui-ci interprète la privation.) Mais l'interprétation de Freud fait plus, elle relève 1) le langage formel ou, si l'on veut, l'écriture, du fort-da, la vraie langue maternelle. Et, 2), elle vise la pulsion: "L'interprétation du jeu ne présentait plus alors de difficulté. Le jeu était en rapport avec les importants résultats d'ordre culturel obtenus par l'enfant, avec le renoncement pulsionnel qu'il avait accompli (renoncement à la satisfaction de la pulsion) pour permettre le départ de sa mère sans manifester d'opposition." Nous sommes parti d'une interprétation faible qui s'interpose entre l'inconscient et le sujet. Mais le paradigme freudien nous montre qu'une vraie interprétation n'est pas si faible que ça. Elle livre au sujet un fragment inédit de théorie, rendant à l'inconscient sa logique. Modèle sans doute inatteignable, mais "le théorème ne demande pas à servir d'application".


Post-Scriptum sur le dérapage interprétatif:

Mon affirmation que l'analyste ne saurait faire abstraction de son savoir quand il interprète semble contredire les célèbres recommandations de Freud selon lesquelles l'analyste doit réserver à chaque cas nouveau un certain non-savoir. Lacan a plusieurs fois reformulé ces règles, par exemple sous la forme de ce paradoxe: "Ce que le psychanalyste doit savoir: ignorer ce qu'il sait" (Ecrits, p. 349; cf. aussi sa remarque sur "l'étrangeté" de cette insistance de Freud sur le non-savoir dans Scilicet 1, p. 20).


Notons d'abord que l'ensemble des règles pour l'analyste (correspondantes à la règle fondamentale pour l'analysant) ne traitent pas la question du savoir de l'analyste d'une façon non-contradictoire. Freud est loin d'effacer le savoir de l'analyste dans la technique. Mais là n'est pas le point qui m'interésse ici. Je crois plutôt que l'analyste ne prouve son absence de préjugés qu'à la condition qu'il énonce son interprétation. Une énonciation a, en effet, des chances de diverger d'un savoir préfabriqué. Beaucoup d'énonciations ne méritent d'être nommées ainsi que pour la simple raison qu'elles sont les produits d'un dérapage. C'est donc la différence entre le dire réel et l'intention de dire qui compte. La non-pensée de l'analyste implique cette différence. Cette remarque peut être rapprochée de ce que Freud écrit à propos de la fidélité de l'analyste envers ses matériaux cliniques: "L'expérience nous enseigne d'ailleurs que le lecteur, disposé à croire ce que dit l'analyste, lui concède les quelques remaniements que ce dernier a pu faire subir à ses matériaux." (La technique psychanalytique, p. 64). Le dérapage interprétatif introduit donc une divergence, voire une déviance salutaire par rapport au déterminisme du dicours du maître.