| DANS UNE BIBLIOTHEQUE A DÉTRUIRE . Etude clinique. par Philippe DE GEORGES
RESUMÉ : Un cas clinique permet, à partir du discours de l'analysante, sujet psychotique, de repérer quelques moments cruciaux : A travers quelques traits qui lui sont singuliers, on peut voir , depuis un évènement qui fait déclenchement, comment elle élabore un délire centré sur l'idée que l'Autre, divin, jouit de sa souffrance. Résolue dans sa tâche analysante, elle met en place une suppléance, une stabilisation autour d'une métaphore délirante. On s'interroge sur les aménagements qui avaient permis jusque là d'éviter le déclenchement. Le style de cette analysante a incité à transcrire directement une grande part de ses propos.
L'eclosion du délire
Dés le premier entretien,cette jeune femme explique sa démarche par un vécu d'angoisse extrème: "Je suis dégoûtée de moi-même; Je me sens inhumaine, pas même une bête...même pas une chose. Je n'ai plus de poitrine.Je ressens des bas, où je suis jetée dans un trou. J'ai alors envie de m'abîmer, de me détruire..." Elle décrit une pèriode de perpléxité où l'angoisse était alimentée par des phénomènes de frange, comme la perception de bruits non-identifiables, quelque chose comme les coups sourds du marteau sur la croix du Christ. "Le curé du quartier nous persécute: Il arrête mon fils dans la rue pour lui dire que je suis une putain... J'entends sa voix derrière la porte...Il parle de nous en prêche,il monte les gens contre nous...Il veut faire licencier mon mari...Je sens qu'il me suit... On ne peut rien faire contre lui: Il tient l'évéché, car, par la confession, il connait les crimes des autres prêtres." Ce qui fait surgir ces paroxysmes d'angoisse , ce sont les regards qu'elle sent fixés sur elle, à tous les coins de rue : "un regard suffit pour que vienne l'angoisse; on est déshabillée!" Mais les images de la ville, aussi, violentent sa vision, s'imposent à elle comme une insoutenable effraction face à laquelle elle se trouve totalement désemparée : "Les images des femmes, les pubs, me donnent un coup dans le dos. Je recherche les seins. Ca me fait un déclic, et j'ai tout de suite envie de me supprimer."
Lors de l'entretien qui suit, je l'invite à préciser les circonstances de ce qui apparaît comme le déclenchement de son état . Le personnage autour de qui s'est précipité le drame est un prêtre,familier de la maison. Il représentait pour elle le père qu'elle aurait aimé avoir. Il était le représentant de la seule chose comptant jusque là: la religion. Elle s'était déjà sentie troublée lorsque, racontant la confession de certaines femmes, il les avait qualifiées de putains : Elle s'était sentie visée. Un jour où elle ressentait une tension douloureuse dans le cou,le prêtre "se prenant pour un guérisseur,un mè-de-cin" avait voulu la masser. "J'ai senti qu'il allait jusqu'aux seins! Puis un déclic ...Lui qui m'avait parlé de filles violées par des prètres! Toute cette pourriture,dans la bouche de quelqu'un qui représente quelque chose!" Depuis cette scène,elle refusait de le voir : "Il ne me reste que sa voix. Mais ça me poursuit : Depuis, l'horreur, c'est une chute dans un puits. Je sens, derrière moi, que quelqu'un m'enfonce." "La ficelle s'éffiloche...les hommes sont des pantins...mes fils sont coupés." L'évocation de cette scène va permettre d'exprimer tous les enjeux de cet évènement précédant notre rencontre de quelques mois, ses effets de déchaînement à travers l'effondrement de l'idéal religieux. Cet idéal apparaît comme l'ordre qui organisait jusque là le monde de ce sujet . Ce prêtre était vécu comme figure de père imaginaire, ordonnateur du sens. Cette scène fait rupture dans la vie de cette patiente. Je propose de dire que le prêtre, cessant d'être familier, est venu en position tierce entre le sujet et ce que j'appellerai la question de la douleur et du corps : Tout se passe comme si ce "mal au cou" faisait appel. La relation, cantonnée jusque là sur l'axe imaginaire (où le prètre prend place en qualité d'idéal ), bascule dans un registre où le sujet se retrouve soudain au bord d'un trou. Lacan dit des conjonctions de déclenchement d'une psychose,que l'Autre y prend l'initiative. A l'appel, celui qui est en place d'un père repond par un acte érotisé, un acte qui est vraisemblablement générateur d'excitation ( le sujet parle d'un déclic ). L'enigme insoluble qu'elle ressent prend la place d'une série de questions qu'elle ne peut se formuler et que nous pouvons supposer, par hypothèse : "Que me veut-il ? Quelle est cette réalité qui bouscule l'idéal ? A quelle expèrience suis-je confrontée ? A quelle jouissance, et de quel côté se situe-t-elle ?" Le sujet, faute du signifiant dans l'Autre qui lui permettrait d'élaborer une réponse névrotique, est plongé dans la perplexité. Elle chute dans ce "puits" où ne persiste qu'une voix. Et la réponse qui se fait jour peut se lire: "Il veut jouir de moi." Cette jouissance supposée de l'Autre amène le sujet à occuper la place d'un objet toujours menacé de choir (qui donne ici sa couleur mélancoliforme à l'affect). Nous voyons bien que le déclenchement est une rupture dans la continuité. La bascule tourne autour de cet "Un-Père", impair par rapport à l'axe imaginaire, c'est à dire encore, tiers qui fait irruption. L'irruption de ce tiers et celle de la jouissance énigmatique confronte cette personne à l'absence du signifiant qui lui permettrait d'apprivoiser cette jouissance, de l'élaborer et de l'inscrire dans le champ limitatif de la signification phallique. D'où s'ensuit le déchainement de jouissance lié au rejet de celle-ci dans le réel, et son attribution à l'Autre. Le défaut de l'Autre (désert ou terre-plein nettoyé de la jouissance ) fait place à l'Autre de la jouissance. Tout se passe comme si le sujet ne pouvait assumer l'assignation subjective de l'expérience qu'elle vit : Ce massage qui suscite l'excitation localisée aux seins. Ce qui est concerné, c'est sa libido et son "plus de jouir". Là où chez le névrosé se produirait l'aphanisis et le recours au cadre du fantasme, ( pensons chez le petit Hans à la naissance de sa soeur Anna et à l'excitation nouvelle de son "Wiwimacher", ces deux élements du réel qui ne trouvent pas place dans l'univers maternel et le conduisent à élaborer son objet phobique), il y a ici imposibilité structurelle de prendre en compte côté sujet ce fragment de discours qui nommerait sa libido. D'où le rejet et le processus projectif : Cet élement de la chaine signifiante rompu et arraché est attribué à l'Autre sous la forme de l'hallucination verbale qui la traite de putain. La voix, l'objet (a) est dans le réel de l'hallucination ce qui fait retour à partir de l'élement rejeté, non symbolisé, concernant ici le lien du sujet avec le sein comme plus de jouir. "Au lieu où l'objet indicible est rejeté dans le réel, un mot se fait entendre", dit Lacan dans "Question préliminaire".
L'amorce d'un travail analytique
Aprés ces entretiens préliminaires, un travail s'amorce, où tente de se dégager la logique du délire. Il est question d'essayer la peau des autres, de se retrouver toujours dans celle de la victime, de vengeance possible. Tuer le persécuteur apparait comme une solution envisageable. "Parfois j'espère mourir pendant l'acte sexuel; Ca m'amène à l'orgasme. Il est sans doùte plus agréable de faire ça forcée par le partenaire que de plein gré. On n'est pourtant pas fait pour subir l'envie de l'autre!" Enfant,mon frère était battu par mon pére. Tantôt je me calfeutrais, tantôt j'essayais de détourner les coups sur moi." Le discours se met à évoquer alors tour à tour des fantaisies diurnes (qui servent de berceuses et permettent l'endormissement ), et de supposés-souvenirs: "Je n'étais pas désirée...J'ai toujours pensé que mon père voulait me supprimer : il avait tant de plaisir à le faire avec les animaux !...Une image me vient souvent en m'endormant: Je suis jetée sous les roues d'une voiture,dans un berceau d'enfant." "Depuis l'enfance j'ai cette vision : C'est dans une salle d'opération. Quelqu'un en cachette veut supprimer l'enfant...C'est un bras, et un autre bras protecteur retient le meurtrier".
Un fantasme originaire
Puis les choses se précisent, prenant un caractère de certitude : "J'ai toujours VU qu'à la naissance on voulait me tuer : Je vois un bras cherchant à m'étouffer...celui de mon père." A ce scenario imaginaire vient se corréler un nouvel énoncé :"On me disait toujours : Tu n'aurais pas dû vivre!"
Deux faux-pas
La précision du thème et le lien entre le scénario et l'énoncé qu'elle lui relie m'amènent à faire deux interventions dans la séance : La première revient à souligner qu'on peut entendre cette phrase comme " ta vie tient du tour de force". La deuxième procède d'une association qui me vient à l'esprit; Je pense à "construction en Analyse", où Freud propose de travailler avec les psychotiques non sur "l'irréalité du délire", mais "sur son noyau de vérité." Je conseille donc à la patiente d'interroger son entourage sur les conditions de sa naissance. ( On peut noter en a parte le caractère tout à fait discutable de ces deux interventions : la première porte en effet sur une équivoque signifiante, ce qui a généralement pour effet de majorer l'angoisse du psychotique en le confrontant à ce qui fait chez lui que symbolique et réel sont identifiés l'un à l'autre, ou autrement dit, que pour lui, le mot est la chose . Le ressort de cette intervention jouant sur la subordonnée antérieure que suppose le conditionnel passé est d'opérer du côté de la pulsion de vie. La deuxième reflexion a pour départ une lecture erronée du propos de Freud, assimilant noyau de vérité et réalité au sens freudien. On voit toutefois aprés-coup les effets de ces manoeuvres dans le transfert sur le déroulement du travail analytique). Elle arrive à la séance suivante et fait état du récit qu'elle a obtenu de sa mère : "Mes parents s'étaient mariés contre l'avis de leurs familles. Pendant trois mois, ma mère a eu des hémorragies que mon père a négligées. D'ailleurs, ça n'a été un père-en-rien... Puis il a fallu opérer ma mère : Elle avait treize fibromes. On m'a découverte alors, au 5° mois de grossesse : Elle ne savait pas qu'elle m'avait. Une bonne soeur, témoin de l'opération, dit que les deux mèdecins présents se sont battus : L'un voulait tout enlever ; L'autre l'a retenu et a laissé l'enfant." Cette séance, faisant suite à mes interventions discutables, constitue un tournant dont les effets sont multiples.
Avatars du transfert le premier est que je me trouve alors inséré dans une série de personnages, tantôt persécuteurs,tantôt sauveurs : on y compte des mèdecins et des prètres, le mari puis moi. La plupart du temps, je suis supposé la haïr et vouloir la "jeter". Elle dit ainsi :" J'ai pensé que vous vouliez m'abandonner, me noyer, m'enfoncer. C'est comme en confession : Le silence me fait peur; Je sens la faute." De temps en temps,elle parle d'une fantaisie dont elle fait usage le soir comme d'une berceuse :" J'ai eu un trés grave accident... Un homme me prend dans ses bras pendant que j'agonise... Avant, c'était un prêtre, puis Le prêtre, puis mon mari... Et maintenant, c'est vous." Le transfert fait ici ressurgir la coloration passionnelle du déclenchement, une ambivalence de fond où perce la tonalité propre au transfert paranoïaque : l'ombre d'un Autre jouissant du sujet en position de déchet. On touche ici une question cruciale pour l'approche analytique des psychoses qui est la question du maniement de ce transfert : Le plus délicat pour l'analyste est qu'il est naturellement attendu voire appelé en tant que sujet à une place mortifiante. Il faut se souvenir de notre référence princeps en la matière, et donc du transfert de Schreber sur Fleschig . Cet investissement du bon docteur par le président lui fait prendre part au déclenchement. Le transfert paranoïaque est alors ce qui fait d'un quidam cet "Un-père" qui vient en opposition au sujet le questionner là où il est dépourvu des fondements de toute réponse. ` Un rêve survient alors dans lequel une petite fille est suppliciée par deux hommes qui lui enlèvent les seins avec un fil à couper le beurre. La mère de l'enfant regarde et dit : "C'est pour Dieu. Les seins sont inutiles et coûteux." Le travail sur ce rêve permet que se développe un riche discours, où refont surface les signifiants religieux. L'éducation religieuse est tout d'abord évoquée à travers la rigidité de la mère et son idéalisation du sacrifice, comme ayant barré tout accès au plaisir : Le corps est saleté et souillure. La différence des sexes est reconnue, mais la chair doit être contrainte : "En pension, les bonnes soeurs disaient que nous étions toutes des exceptions, qu'il fallait nier la nature, aplanir dans notre esprit les creux et les bosses. Elles nous interdisaient de lire la Bible : C'était de la pornographie ! Quand je l'ai lue, le dernier mur s'est effondré : C'est de la pornographie, c'est à dire , ce qui est , et que je refuse".
Les "bonnes soeurs" Quand les souvenirs ne font pas des religieuses les agents d'actes sadiques, elles y apparaissent comme les modèles d'une souffrance sanctifiée : "Certaines s'écrasaient les seins avec des planches, pour l'amour de Dieu." A côté d'elles, les curés sont décrits comme incarnant un surmoi accablant : Ils traquent la faute. Elle entend leur voix qui tonne, ordonne, interdit. De la chaire du prédicateur, un bras l'accuse et la désigne.
Comment le déclenchement avait été évité Toutefois, la parole religieuse est affirmée comme ce dont le sujet s'est soutenu jusque là. Quelque chose avait ainsi, jusqu'au moment du déclenchement où l'absence du signifiant du nom du père s'est trouvée dévoilée, tenu lieu de capiton à l'ordre symbolique. "J'avais mis Dieu entre mes parents et moi... Je n'agissais que pour Dieu..."Quelque chose semble avoir fonctionné comme une suppléance. l' hypothèse que j'avance est que le discours religieux est le matériau de ce qui jusqu'à la scène du déclenchement a évité celui-ci, en offrant un système d'idéalisation, une grille de référence pour tous les moments de la vie, dans une macération masochiste complaisante. Pendant cette pèriode du travail, j'ai donc choisi de porter une attention particulière à tout ce qui revenait dans ses propos et éclairait la fonction que les signifiants religieux avaient joué avant que n'éclose la psychose. La question en effet me paraissait être d'évaluer ce qui, à partir de ces signifiants, pourraient éventuellement contribuer à la mise en place d'une métaphore délirante susceptible de suppléer la métaphore paternelle . "Mes parents me savaient vicieuse : Par la religion, ils se sont efforcés de me faire rentrer le vice dans le corps. Mais quand j'ai vu un curé s'autorisant le vice, tout a été détruit !"..."Il faudrait se défaire de cette religion qui colle à la peau, qui tue le corps." Le lien évoqué entre la religion et la position masochiste du sujet m'amène à tenter une manoeuvre. Je dis alors :"Cette religion parle d'un dieu incarné..."" Oui, répond-elle,mais corps et religion sont ennemis : Il faut que l'un des deux soit sacrifié...C'est le sexe !" Des récits, fantaisies ou rêves, arrivent alors qui amènent le sacré à servir de support à ce que je propose de considérer comme une nouvelle tentative d'aménagement pervers. "Le curé a peut-être raison : la seule issue est le Mal. J'ai fait un rêve : Un moine satanique ricanait en disant : Je ne suis pas le Père ! C'était une cérémonie pour sanctifier le père... Le bras du moine traversait le tabernacle et fouillait le sexe d'une femme... Je pense parfois à me mettre l'alliance dans le vagin...Le crucifix cache la faute... J'ai aussi rêvé de passer la nuit pendue à la croix : La croix est une chose achevée. Tant de choses sont comme moi : inachevées." "En fait de perfection, c'est la perversion que je cherchais, dans le plaisir des parents et de Dieu. La mort est la seule perfection." Un rêve suit où elle se voit aller aux WC, sur le ventre, "comme pour accoucher". Elle porte en elle un bébé mort, tué, comme elle le fut, par un rapport sexuel. Elle ne veut pas s'en défaire : "On m'éventrait... Je me masturbais et il me poussait un pénis...J'éprouvais de l'excitation, de la souffrance et du plaisir".
Des dieux obscurs La séance suivante embraye directement sur le récit du rêve : "J'ai parlé du plaisir de souffrir. J'ai vu que vous étiez content... Content que j'en parle,...ou content que je souffre. Ainsi est le monde : Il y a ceux qui souffrent, et ceux qui jouissent. Ceux qui jouissent de la souffrance des autres sont sans limite...Les couvents sont pleins de gens qui souffrent, qui en ont plaisir, et offrent leur souffrance à leur divinité." D'un ton qui veut manifester de l'étonnement, je lui demande si leur divinité agréent ce type d'offrande ? Sa réponse arrive, ne souffrant aucune réplique et attestant de ce qui fait pour elle certitude : "Oui ! Les divinités jouissent ! Mais c'est dans l'autre monde ! Ca n'y est pas une faute ! Ca ne nous regarde pas !" Une théorie s'élabore dans les séances qui suivent, rendant compte de cette certitude et visant à en déployer les effets : Parler de perversion est, dit-elle, son effort acharné pour sortir de la situation dans laquelle elle se débat, "pantin au fil cassé.".. le fil de la perversion est fort ! Il permet une réparation : "Je vous étale ici ce que je porte, qui est pas tout à moi, mais qui me constitue", avoue-t-elle.
L'affirmation de la jouissance divine me semble être un temps fort de ce que ce sujet construit : C'est là que la métaphore délirante vient sous sa forme la plus élaborée en lieu et place de la métaphore paternelle absente. C'est ici que semble s'étayer le diagnostic de paranoïa : "La jouissance est identifiée au lieu de l'Autre " (Lacan,66). L'Autre ici, jouit et existe, et n'est pas "désert de jouissance". Notons que l'Autre n'est pas supposé en définitive aimer ou haïr, (ce qui appartiendrait au registre de l'érotomanie, faisant de l'Autre la source de la libido), mais bien jouir du sujet chosifié. On peut dire que la stabilisation qui semble se mettre en place évoque la construction d'un fantasme sans poinçon où le sujet s'offre à compléter l'Autre. L'objet (a) chez Lacan, c'est un semblant. Il et donc susceptible de prendre place dans un fantasme qui limite la jouissance . Ici, l'absence de symbolisation conduit le sujet à incarner l'objet lui-même, tel qu'il ne peut s'en séparer, à l'être en le réalisant, collé à un Autre tout puissant. La direction d'un tel travail et le maniement du transfert qui est ici en cause pose une question brûlante: Si l'énoncé de cet élement de certitude sur la jouissance de Dieu et le rôle que le sujet peut être appelé à y tenir peut avoir valeur de capitonnage pour le discours, le danger n'en est pas moins celui d'une "réalisation" de l'identification à l'objet (a) comme déchet. La référence qui convient ici pour évaluer le risque, est le point où Schreber arrive quant à l'élaboration de son délire : Etre la femme de Dieu peut finir par trouver ses lettres de noblesse dans le rachat de l'humanité et l'engendrement d'une race nouvelle... Mais c'est aussi le terme assymptotique du "pousse à la femme" . Anéantissement et mort du sujet se profilent à l'horizon. Schreber parle du "meurtre d'âme" et du "laissé en plan ". La question qui se pose dans la direction de la cure est que cette jouissance soit indéfiniment différée. Nous allons voir comment notre patiente évoque ces différents problèmes.
L'identification à l'être de déchet... Dans les six derniers mois de ce travail, le contenu des séances aborde plus directement le registre de l'identité. Plusieurs rêves lie celle-ci à l'analité : "Je me levais des toilettes. La cuvette était pleine de serpents. Ils me criaient "touche pas ! C'est plus à toi !"... Une feuille de papier, déclinant toute mon identité était au fond des toilettes. Derrière moi, quelqu'un me tenait la tête et m'obligeait à voir ce papier disparaissant dans le vacarme de la chasse. Mon identité était perdue ! Je pense à mon père : Il nous interdisait de tirer la chasse pour vérifier si on n'usait pas trop de papier !... Et pourtant, l'excrément est la seule chose qui appartienne à l'enfant." "Ma mère a été handicapée par son opération et ma naissance : elle m'a transmis son handicap. Je ne suis pas finie, pas complète. Il me manque l'organe féminin, le sein. Je suis ni homme ni femme, ni animal ni chose : un truc qui vit sans l'avoir demandé. Ils auraient mieux fait de le lui enlever, ce "14° fibrome !"
...Et une nomination Un nouveau rêve, puisqu'on peut dire qu'elle en est prolixe, vient apporter un nouvel éclairage. C'est lui qui donne son sens au titre que j'ai choisi de donner à ce récit clinique : "Vous me faisiez visiter une bibliothèque à détruire ; C'était peut-être mon corps . Là, parmi les livres je trouvai un flacon d'eau de toilette. Il portait mon nom (Ce nom contient un signifiant synonyme de déféquer ). Je vous demandais : "Pourquoi ne me l'avez vous pas dit ?" et vous répondiez : "Pour que vous le trouviez vous-même." Les associations sur ce rêve tournent autour de la saleté de l'argent, de ces billets où l'on voit une femme aux seins nus peinte par De-la-croix. A coup sùr, cet argent sale, cette ordure qu'elle me donne, c'est ce que j'aime . "L'eau de toilette c'est le contraire : Ce n'est pas de la matière mais un liquide, et au lieu de salir, çà nettoie ! Enfant, ma mère exigeait que je sois propre . Puis elle jetait aux toilettes ce que j'avais fait pour son plaisir... Comme ici vous jetez mes paroles, quand je m'en vais." D'un rêve à l'autre, l'identité connaît une bascule : Elle est d'abord toute entière référée à des traces qui disparaissent dans les W-C. Puis elle reparaît avec le nom, sur un flacon d'eau... de toilette. D'un côté un objet dont la disparition abolirait la trace du sujet, de l'autre un signifiant de nomination qui rappelle ce même objet. L'eau, ça n'est toi... On est frappé par la fragilité du lieu - un lieu qui définit le transfert - où les mots peuvent surgir, avatar de la destructivité : une bibliothèque à détruire !
Faire un trou Quelques séances où s'enchaînent des rêves vont conduire à l'évocation d'une scène emblématique: "En rêve, je me rendais compte que j'avais des trous dans la peau. Il fallait le cacher à mon père, pour éviter sa rage. Avec un fil et une aiguille, je recousais le trou. Ce rêve me donne l'idée de me torturer. Je pourrais prendre des lambeaux de peau pour me fabriquer des seins. En fait, depuis quelques mois, en dormant, je m'arrache la peau. Je me mets la vulve en sang... Et des papiers dans l'anus. Un trou suppose une violence. La première violence, c'est le silence des parents. La peau est un langage jamais compris d'eux...Je voudrais être un bébé mort. Ce bouchon dans l'anus, c'est le bouchon d'angoisse. Je serais libérée en l'expulsant."..."Le moindre reflet de soi est une tragédie. Les miroirs transmettent la vie. Ils la reproduisent Exactement, puisque l'envers est pareil à l'endroit."
Un étrange miroir ..."Ca me rappelle un jour, après la naissance de ma soeur. Ma mère m'avait rejetée dans une chambre à l'écart. C'est la dernière fois où je me souviens d'un plaisir à regarder mon corps. Je crois me voir... Et soudain ce n'est pas moi que je vois, mais mon père. C'est l'intrus. Il sourit, d'un sourire ironique. Depuis, le corps est en morceau." Cette scène dont le degré de réalité ou le statut de fantaisie importe peu vient à point nommé camper la régression spéculaire (effet repérable de la forclusion) dans sa dimension mortelle. On en voit les traits efflorescents d'agressivité et de transitivisme tels qu'ils se retrouvent dans tous les phénomènes décrits par ce sujet. L'arrière plan, c'est un enjeu de mort. Le scénario campe une expérience spéculaire qui fait trauma : L'imago paternelle, d'où pourrait venir une pacification par la parole, apparaît sous un jour irruptif et persécuteur en rapport avec le signifiant forclos. Au regard de l'Autre se lie un ricanement. C'est sans doute ce qui fait retour dans le moment de déclenchement, comme dans le rêve du moine sardonique, qui en est une transcription, une sorte de version fictive. Corollaire de cette distorsion de l'imago paternelle, il semble que fasse défaut dans le registre symbolique un "Einziger Zug". Avant sa naissance, la place de ce sujet est vide dans l'Autre ("Elle ne savait pas qu'elle m'avait"),et le signifiant qui vient s'offrir pour représenter le sujet auprès de l'Autre est celui de fibr-ome. Le "Tu n'aurais jamais dû vivre" qui fait suite à titre de commentaire, et que la patiente entend comme une injonction qui lui fait destin, une sentence toujours en instance de se réaliser, ne l'identifie ni comme humain, ni comme vivant, ni comme désiré. Aussi se vit-elle avec insistance comme exceptionnelle, pas comme les autres femmes, NI-NI ,homme ou femme, bête ou chose. On trouve là sans doute la structure d'une holophrase : le Sujet se dit représentée par une soudure de deux signifiants sans coupure et dont l'opposition binaire est niée. Dans le même élan, elle parvient ce faisant à incarner l'exception, élement si important de la psychose, marquant l'effort toujours présent pour s'exclure de l'Autre du Signifiant.
Ne reste donc que l'objet collé à l'Autre, et cette jouissance "qui ne nous regarde pas."
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