TOMÁS
ABRAHAM, GUERRIER ELÉGANT.
COMPTE RENDU (par Marcela
Antelo) de son
BATAILLES ETHIQUES .
Encore une fois les analystes baianais ont eu la chance d’entendre
Tomás Abraham. Le philosophe argentin, né en Roumanie, sait
faire usage de la Psychanalyse.
Il le montre depuis plusieurs années. Nous l’avons entendu
éplucher le signifiant, résonances par rapport à la
place que les Autres savoirs doivent occuper - question d’éthique
- dans la formation des analystes. A l’occasion d’une autre visite, il
a présenté, à l’Université Féderal de
Bahia, UFBA, sa lecture du Séminaire
de l’Ethique de Jacques Lacan.
L’élaboration de Lacan sur l’amour courtois a été
prise au sérieux, ainsi que chacun des ses références
bibliographiques. Le livre La guerra del amor ( La
guerre de l'amour) a été le résultat de sa
curiosité qu’il mène jusqu’à épuisement. Sa
promenade autour des différentes Antigones c’est un modèle
de l’exercice de raisonnement pratiqué par Abraham.
Récemment il a écrit Historias de
la Argentina deseada (Histoires de l'Argentine
desirée). D’après lui il s’agit d’un livre sur la
topographie où il analyse le sol qu’ont construit les désirs-d’être
des argentins. On s’étonne du fait qu’ Abraham, en dressant ses
batteries contre la nouvelle idéologie nationale, le democaretisme
(démocratie plus imposture), réussisse à se maintenir
au sommet du ranking des ventes de littérature de non-fiction.
L’encre n’a pas encore séché et Abraham
publie déjà un nouveau livre, celui qu’il vient de nous présenter
à l’Atelier de Bibliothèque. Le Batallas Éticas,
(Batailles Ethiques) publié par l’Editora
Sudamericana, s’ouvre par un essai de 57 pages, écrit par Tomás
Abraham lui-même et dont le titre est aussi celui de l’ouvrage. D’autres
articles composant le livre: "Derechos Humanos, racionalidad y sentimentalismo"
( Les Droits humains, rationnalité et sentimentalisme)
et "Los intelectuales ante el fin del socialismo" (Les
intellectuels face à la fin du socialisme) de Richard Rorty
et, finalement, "La Ética-Ensayo sobre la conciencia del mal" (L’Ethique-Essai
sur la conscience du mal) par Alain Badiou.
Tomás forge une bataille entre les deux penseurs
contemporains "dérangeants" qui ne marchent pas sur la bonne voie
de la pensée facile, mais dans le sens interdit. Sens interdit qui,
pour Abraham, caractérise la philosophie dans sa marche toujours
non-actuelle, oblique. Au moyen de ce métier, il assemble et mélange,
il fait se confronter, deux auteurs radicalement différents tels
que Badiou et Rorty, penseurs qui n’apartiennent pas au même club,
ni à la même tradition, continent, langue et qui, peut-être,
justement pour cette raison, vont devenir des pôles de contemporanéité,
pensées en tension.
Tous deux l’impressionent. Non par le fait qu’ils
soient les maîtres de la verité, mais par ce qu’ils nous offrent
la labeur de créer quelques vérités qui ne se présentent
pas toujours habillées de la même façon. Abraham sait
que la vérité n’est ni immaculée ni transparente.
L’intérêt apporté par une pensée philosophique,
d’après lui, relève de la façon par laquelle cette
pensée travaille et transforme ses défauts, ses debilités,
ses plaies, hontes et limitations.
Rorty n’a pas d’autre alternative que de s’occuper
de la vie commune. Le philosophe vient de la communauté et doit
lui rendre des comptes. Plus encore: la communauté est l’autorité
epistémique. Abraham défend Rorty de l’accusation de penseur
mou. Une des meilleurs provocations de Rorty, selon Abraham, est sa
façon d’attaquer le "machisme métaphysique", une attaque
à la dureté et à la rigueur en tant qu’emblématique
de la sérialité, de la prophétie,
des majuscules. C’est d’après une position peu virile – pas-toute
dirions nous– doux, humide, féminine, nous dit Abraham, que Rorty,
philosophe, montre très peu d’ambitions de pouvoir, disposé
à négocier et indifférent aux dieux et aux révolutions,
il dérange le philosophe professionnel, le macho qui travaille dur
et se durcit.
La mégalomanie "théoriciste" et puritaine
est dédaignée par Rorty. Seuls les philosophes décadents
peuvent ne pas savoir que la formation des syndicats, les réformes
éducatives, l’élargissement du suffrage et la chute du prix
du papier font plus de bruit dans la démocratie occidentale que
la théorie cartésienne du sujet. Créer des métaphores,
inventer, recourir au récit en tant qu’outil et à son propre
pays en tant que sol, ce sont des alternatives de Rorty au destin "illustré"
de la libido philosophique: le jugement. Le problème, constate Rorty,
puisqu’il y a des humiliations et des cruautés, est: quoi faire
pour disposer les hommes à se refuser le plaisir d’humilier le semblable?
Education sentimentale du souverain, transformation des sensibilités
à l’intérieur du microssocial et plein fonctionnement des
institutions libérales ce sont des solutions auxquelles on pense.
Parfois, Abraham se demande: Rorty, est-il sobre?
Ce sont des conjectures d’Abraham: Rorty suppose que La Case de l’Oncle
Tom a aidé à transformer l’Alabama ; que Le journal
de Anne Franck a fait pleurer un néo-nazi et que Le voleur
de bicyclettes a fait diminuer les peines pour les délits mineurs.
Donnant cette dernière estocade et en invocant la discipline, Abraham
passe à l’autre jouteur : Alain Badiou.
D’après lui, la lutte de Badiou est dure.
Il est seul. Fruit mûr de l’école d’Althusser, Badiou ne compte
que sur très peu de partenaires de travail. Abraham structure la
pensée de Badiou dans quatre instances: éthique, politique,
philosophique et epistémologique. Il précise: "l’éthique,
selon Badiou, est une coupure dans le post-marxisme pour justifier la mort
de la politique (...)l’éthique est la spiritualité de l’espace
du marché et elle rend plus facile un consensus sans compromis ni
risque". Il y a un consensus à l’égard des noms de ce qui
est mauvais: la corruption, l’autoritarisme, le fondamentalisme.
Ces noms, on peut aisément les dénoncer dans l’autre. La
pédagogie de la différence est inoffensive et absurde. Abraham
en cite l’exemple: "Sois comme je suis et je respecterai ta différence".
La pulsion éthique en Badiou ne le dit pas. Toutefois, ce qui dit
comment céder est une cathégorie éthique; ne pas céder
à un impératif, la pire trahison: la trahison à soi-
même.
On peut énumérer quatre positions éthiques:
l’éloge (du pouvoir), la résignation (spéctacle actuel
de l’économie), la discordance (volontarisme quoique ça crève),
la position prométhéenne (éthique héroïque).
Badiou propose le deux au lieu de l’un, la dissension, la
scission, de ne pas saturer la faille, diviser les consciences.
En ce qui concerne la politique, Abraham dit que
Badiou réconcilie l’idée communiste avec la psychanalyse
et les mathémathiques. Le marxisme n’est pas mort, mais il se trouve
historiquement détruit. Nous avons échangé Mao contre
la Mitsubishi. Badiou propose une éthique de la non-domination,
mais non-représentative. Voilá la question posée par
Abraham: comment être fidèle aux événements
et aux victimes sans leur imputer une vérité dogmatique en
prétendant les éclairer?
Philosophie. La politique ébauchée
demande une nouvelle idée de vérité. Wittgenstein
et Heidegger s’y opposent. Il s’agit du discrédit, de nouvelles
incursions de la sophistique, de l’uniformité des discours. Badiou
fait la guerre au néo-anarchisme, aux généalogistes
héritiers de Foucault et à la voix de l’être poétique
de Heidegger. Il faudra bien endurer les sarcasmes et les ironies de Wittgenstein
- sophiste majeur qui conduit au virtuosisme des jeux des mots et des silences.
L’important, c’est de préserver l’espace polémique.
D’après Abraham, Badiou voit la réintroduction
des mathématiques comme un retour à Platon, étant
donné que ce dernier disait que la géométrie et la
politique étaient la charnière du savoir. Badiou coupe la
réalite en deux champs: les mathématiques s’occupent de l’Etre
et l’autre, le domaine de l’évènement, relève de la
Politique.
Heidegger, on l’abandonne. On laisse tomber la métaphysique
de la présence qui s’installe dans le poème et l’on part
du mathème pour penser d’une façon rigoureuse.
Epistémologie. Abraham introduit, cette fois,
le macho topologique, le lyrisme borroméen de Pierre Soury. Badiou
attache des figures topologiques à des intensités existentielles.
Et Abraham n’a pas honte de demander à Badiou: "Qu’est-ce que la
vérité?". Son irruption est l’évènement: on
la subit a partir du réel; on la dit à partir du symbolique;
on se la figure à partir de l’imaginaire. Le réel est le
seuil inconnu par les sophistes de la modernité. Une pensée
génerale s’impose pour penser ce qui est insaisissable, le vide.
Cette pensée compte sur quatre procédés: l’amour,
l’art, le mathème et la politique.
Abraham parle des ces quatre démarches et
par la suite présentera la Batalla. On laisse ce résumé
en suspens. Trouvez le livre.
BIBLIOGRAPHIE de TOMÁS
ABRAHAM